L’engagement du chercheur et l’interdisciplinarité de la recherche scientifique
Aussi protéiforme que polysémique, le concept de l’engagement épouse des valeurs axiologiques et socio-pragmatiques ayant fait irruption dans de nombreuses instances éducatives, médiatiques, politiques, scientifiques, artistiques…
Le chercheur et l’engagement sont déterminés par un contrat légitimé par la scientificité, la neutralité et « l’implicabilité », comme l’ébauche P. Charaudeau : « Les chercheurs, nous ne sommes pas des écrivains, ni des artistes qui par l’exercice de leur art peuvent manifester leur engagement. Mes raisons sont à la fois d’éthique et de crédibilité. »[1]
La neutralité du chercheur se traduit en termes d’objectivité dans la mesure où le chercheur est appelé sans a priori à analyser scrupuleusement et objectivement les faits constatés. « L’implicabilité » s’explique par le fait que le chercheur est à l’affût des phénomènes sociétaux ; en d’autres termes il est le témoin de son époque et l’observateur de son contexte sociétal.
Cette posture d’engagement est axée sur la réflexivité dans la mesure où le chercheur scrute les faits en vue d’y apporter des critiques, tant déconstructives que reconstructives, et d’envisager des pistes de réflexions-solutions. En ce sens, le chercheur est requis pour répondre à certains questionnements émanant de la société, tout en ayant une teneur critique vis-à-vis des faits investigués.
Tout chercheur, quel que soit sa discipline d’intervention, est sommé d’adopter une double posture à la fois : engagé auprès de l’institut académique d’une part et auprès de l’institution publique d’autre part. Et afin de concilier cette identité encastrée et dialectisée, il importe, d’une part, de recourir à une/des démarche(s) scientifique(s) pour mener sa recherche et de vulgariser, d’autre part, ses discours scientifiques en vue d’y inclure le sujet social.
Dans cette perspective, le chercheur doit recourir à une interdisciplinarité scientifique pour approfondir l’analyse de l’objet de recherche et mieux explorer/exploiter ses différentes dimensions épistémologiques. Cette interdisciplinarité[2] est au cœur battant de toute investigation impliquant une interaction-rétro-proaction disciplinaire. Nous trouvons cette tenace détermination scientifique, notamment dans les Sciences humaines et sociales (SHS) qui puisent leurs paradigmes épistémologiques, leurs outils et leurs méthodes dans plusieurs disciplines ; autrement dit il s’agit des sciences dites molles qui s’appuient surtout sur une démarche expérimentale hypothético-déductive et une démarche interprétative empirico-inductive, nous évoquons à titre illustratif la sociolinguistique qui est souvent présentée comme une linguistique sociale se référant à des techniques d’enquête différentes relevant principalement de l’ethnosociologie comme les entretiens, les questionnaires, les observations, les enregistrements, la biographie langagière… L’analyse du discours (AD), quant à elle, s’appuie sur différentes approches telles que l’ethnographie de la communication, l’approche énonciative, l’ethnométhodologie, la lexicométrie (analyse automatique du corpus) ayant trait à la sociologie et à la linguistique… Quant à l’analyse littéraire, de nombreuses approches linguistiques interviennent telles que l’approche structuraliste, énonciative, socio-historico-critique… L’exemple le plus parlant et frappant dans cet océan est la didactique des langues qui perd au fur et à mesure sa « rigidité » en recourant à moult disciplines comme la littérature ou la science du texte littéraire qui prend le texte comme objet et outil d’enseignement-apprentissage, tant linguistique que (inter)culturel. Elle s’intéresse aussi à la technologie de l’information et de la communication (TIC) qui consiste à outiller l’enseignement-apprentissage par une pléthore d’outils numériques ayant investi la classe, réelle ou virtuelle. Sans oublier également l’apport prépondérant de la linguistique qui y contribue de façon décisive et exhaustive à travers l’étude du fonctionnement de la langue, témoignant d’une mutation questionnative de « Quoi enseigner ? » (Linguistique appliquée 1977) à « Comment enseigner ? » (Didactique des langues)
En outre, la recherche est fondamentalement régie par un/des paradigme(s) épistémologique(s) opératoire(s) comme le constructivisme piagétien qui s’identifie comme théorie de construction-interaction entre le sujet connaissant et l’objet épistémè, le socioconstructivisme vygotskien qui tient compte de la dimension socio-interactionniste dans la construction des savoirs, la complexité morinien qui abolit les cloisons étanches entre le simple et le complexe en développant une approche dialogique et dialectique (le tout fait partie des parties et les parties font partie du tout).
Outre l’interpénétration disciplinaire, les techniques de rédaction et les écrits universitaires comme la dissertation, le commentaire composé, les mémoires de recherche, les thèses de doctorat, les exposés, les rapports, etc. sont présents quasiment dans toutes les disciplines et qui exigent a fortiori une compétence transversale ou plurilittéracique combinant des savoirs et savoir-faire différents.
Conçues comme le point d’orgue de la recherche et le summum de la réflexion du chercheur, la posture d’engagement et l’interdisciplinarité conduisent à poser convenablement une/des question(s) de recherche, à approfondir/enrichir fortement la lecture via la revue de la littérature scientifique (recherche documentaire) et à aborder pertinemment la problématique sous divers angles méthodologiques dans le but d’aboutir à des résultats performants, efficients et concluants.
En effet, l’engagement et l’esprit interdisciplinaire du chercheur permettent l’éclosion de son cercle d’investigation et l’ouverture sur des disciplines connexes en approfondissant ses connaissances et en cultivant son intelligence.
Tout compte fait, aucune discipline n’est capable d’héberger à elle seule l’ensemble des questionnements que recèle/décèle le terrain d’investigation et que suscite perpétuellement le sujet de recherche.
Youcef BACHA, doctorant et jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).
Références bibliographies
Lawrence Olivier, Guy Bédard et Julie Ferron, L’élaboration d’une problématique de recherche, Source, outils, méthodes, L’Harmattan, Paris, 2005.
Patrick Charaudeau, « Le chercheur et l’engagement. Une affaire de contrat », Argumentation et Analyse du Discours, 11/2013, mis en ligne le 20 octobre 2013. Consulté le 15 août 2013. URL : http://aad.revues.org/1532
Philippe Blanchet, La sociolinguistique est-elle une « interdiscipline » ?, Travaux neuchâtelois de linguistique, 2011, 53, pp. 13-26. Consulté le 03 décembre 2020. URL : Microsoft Word – 12-25_Blanchet_VersionFinale.doc (unine.ch)
[1] Patrick Charaudeau, « Le chercheur et l’engagement. Une affaire de contrat », Argumentation et Analyse du Discours, 11/2013, mis en ligne le 20 octobre 2013, Consulté le 15 août 2013. URL : http://aad.revues.org/1532
[2] L’interdisciplinarité désigne le tissage des rapports entre des disciplines différentes partageant un paradigme de base ; la pluridisciplinarité désigne la présence simultanée et juxtaposée de nombreuses disciplines dans un cadre institutionnel ; la transdisciplinarité est caractérisée par une épistémologie, un modèle théorique, une méthode d’investigation… qui sont présents dans diverses disciplines.