«Le chercheur est d’abord confronté à l’obligation de préserver l’identité des interactants» (Francine CICUREL, linguiste)
Francine CICUREL, Professeure à l’université Sorbonne nouvelle-Paris 3, a développé un champ de recherches entre la didactique du FLE, le discours, l’analyse des interactions linguistiques et les implications didactiques. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages et numéros de revue, entre autres : Les interactions dans l’enseignement des langues. Agir professoral et pratiques de classe, Didier, coll. Langues & didactique, 2011. Avec Violaine Bigot, (eds), « Les interactions didactiques : enjeux, ressources, perspectives » numéro Recherches et applications.Le français dans le mond., 2005. Avec José Aguilar (eds), « Pensée enseignante et didactique des langues, Recherches et applications le français dans le monde, Clé international, 2014.
Dans votre ouvrage intitulé Parole sur parole. Le métalangage en classe de langue (1985), vous accordez une importance à la réflexion métalinguistique en classe de langue du fait que les activités doivent être « pédagogisées » pour qu’elles soient comprises par les élèves. Pensez-vous que la traduction d’une langue à une autre comme processus d’adaptation peut développer chez l’apprenant la compétence linguistique ? Comment ?
J’ai en effet souligné dans Parole sur parole que le discours métalinguistique (règles de grammaire, consignes, explications sémantiques) se tenait souvent dans une langue connue des apprenants. Cela pose la question de la compréhension des consignes par des apprenants au niveau débutant. Comment en effet faire comprendre quel est le travail à fournir en langue cible ? Cependant je n’ai pas pris la défense de l’usage de la langue maternelle comme susceptible de développer la compétence linguistique. Un commentaire explicatif peut certes aider l’apprenant à comprendre un fonctionnement langagier. Il me semble que le professeur peut prendre les décisions appropriées quant à l’usage de la langue maternelle en fonction du public, son niveau et ses besoins.
Vous considérez la classe non seulement comme un endroit d’enseignement-apprentissage pour transmettre et communiquer des savoirs, mais comme un espace où l’on mène une investigation. Quelle est l’utilité d’un travail d’investigation sur l’agir professoral ?
L’agir professoral est défini comme l’ensemble des actions accomplies en classe, accompagnées des intentions et des décisions d’un enseignant. Le chercheur a accès à cet agir par l’observation de classe et par des entretiens avec les enseignants qui reviennent sur leurs motifs et leurs manières d’agir. En confrontant un enseignant à son cours filmé on le met face à un espace où il a réalisé des actions avec les participants élèves. On a alors accès en quelque sorte à la « pensée enseignante », ce qui permet de découvrir des facettes cachées du métier d’enseignant. Pour donner quelques exemples, les discours d’autoconfrontation révèlent la relation au temps, l’attention portée aux apprenants à la fois dans leur individualité et comme groupe, le souci de parvenir à faire le programme, celui de se faire comprendre.
Dans votre article Les interactions en situation d’enseignement-apprentissage : observer, transcrire, analyser (2011), vous désignez la classe à la fois comme un espace de parole (interactions verbales) et un objet de recherche (analyse du discours). Quelle posture épistémique et éthique doit adopter le chercheur ?
Cette question se situe dans la continuité de la précédente mais elle met l’accent sur l’éthique de la recherche. Le chercheur est d’abord confronté à l’obligation de préserver l’identité des interactants. S’il observe une classe et qu’on lui a fait la faveur de le laisser observer, il ne peut livrer les échanges sans en demander l’autorisation aux participants. En second lieu, il faut se garder de penser que ce que l’enseignant déclare est forcément la « réalité » et se souvenir qu’il s’agit de sa perception de la réalité. C’est pourquoi disposer d’un côté de la transcirpiton des interactions et de l’autre de la transcription de l’entretien est une garantie qui permet de comparer ce qui s’est fait dans la classe et ce qu’en dit l’enseignant interrogé.
Précédemment, le discours professoral était conçu comme ce qui devrait susciter ou encourager des « conduites » apprenantes. Toutefois, dans la perspective actionnelle, l’accent est mis sur la spécificité de « l’action enseignante » et les stratégies mises en œuvre en classe. Quelle attitude pédagogique devrait avoir l’enseignant en classe à l’ère de la perspective actionnelle ?
La perspective actionnelle ne change rien au dispositif. L’enseignant tient toujours un discours qui a pour intention de mettre en place un travail (ou des tâches) à accomplir par les élèves ; les consignes peuvent changer, plus grande liberté peut être laissée au groupe d’apprenants mais cela ne change pas fondamentalement l’agir professoral. Rappelons-le, il s’agit d’un ensemble d’actions visant à susciter de la part des apprenants un travail langagier et des progrès dans l’apprentissage de la langue.
Entretien réalisé par Youcef BACHA, doctorant en didactique du plurilinguisme/ Sociodidactique, Laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida2, Algérie.