Le dialogue des connaissances contre le choc des ignorances

Des divers dialogues instaurés entre le nord et le sud, le dialogue des civilisations s’investit d’une mission, noble entre toutes, celle de rapprocher les peuples et de rendre le monde d’aujourd’hui plus vivable, en dépit des guerres et des conflits qui le déchirent. Celui-ci a conquis même les plus récalcitrants, si bien que les rencontres placées sous son égide se sont démultipliées. L’incident majeur du 11 septembre, au plus fort de ce conflit, a fait que la nécessité d’un dialogue entre l’Occident et le monde arabo-musulman s’est faite la plus pressante.

Entre la théorie du « clash des civilisations » développée par Samuel Huntington et mise en œuvre par les néo-conservateurs américains, dans le contexte de l’invasion de l’Irak et de leur soutien inconditionnel à l’occupation israélienne de la Palestine, d’une part, et celle de tenants d’un intégrisme radical porteur d’une violence à la fois désespérée et inqualifiable, d’autre part, il s’imposait de dégager un terrain où engager un dialogue qui serait de nature à atténuer les effets d’incompréhension, d’ignorance des uns vis-à-vis des autres, et à endiguer l’affrontement entre deux mondes supposés opposés, et dont on craignait qu’ils soient définitivement séparés l’un de l’autre.

Si la définition du dialogue politique est généralement aisée, dès lors que l’on en connaît d’avance les objectifs et que l’on définit les modalités pour les atteindre, et si le dialogue interreligieux ne pose pas non plus de problèmes à ceux qui voudraient en appréhender les mécanismes et les limites, il n’en va pas de même du dialogue des civilisations constamment menacé par les amalgames et les malentendus. Ne renions pas le fait que malgré les efforts déployés, le monde arabo-musulman n’a pu, pour diverses raisons, parachever la mise en place d’un projet de société viable où la diffusion des sciences et des savoirs, alliée à celle des valeurs prônées par l’islam, devait constituer un facteur mobilisateur fédérant ce grand ensemble qui va du Maroc à l’Indonésie, en passant par l’Ouganda et le Kazakhstan. La mise en œuvre de cet ambitieux projet a été incontestablement contrariée par la pérennité de conflits en terre d’islam ( Palestine, Irak, Afghanistan, Somalie, Darfour…) laissant le champ libre à une surenchère violente dont l’objectif déclaré est l’assujettissement de la société à un ordre irrationnel où la quête du savoir est absente, voire bannie. Or, l’islam, qui accorde à l’homme toute la plénitude de sa liberté de pensée, constitue le vecteur de notre aptitude au savoir. Le premier verset du coran, tout autant que de très nombreux hadiths, incitent à acquérir, avant tout, le savoir. C’est pourquoi, et tout en valorisant la morale universelle de l’islam, un effort accru doit être entrepris pour la diffusion de la science. Cet effort doit être soutenu et conforté par la promotion de la diversité culturelle propice à l’épanouissement des idées et à la créativité. En ce cadre, il revient, en premier lieu, à tous les gouvernements musulmans d’en assurer la mise en œuvre en mettant l’outil éducatif et scientifique à la portée de toutes les couches de la société, comme un droit devant s’allier étroitement à la qualité citoyenne.

Afin de s’épanouir, la science a besoin d’une base culturelle ouverte à la pluralité des idées, qui ne peut être acquise que par un système d’éducation performant soutenu par des programmes de recherche tout aussi performants. Il est impératif de souligner l’apport de la science au développement de nos sociétés et met l’accent sur la nécessité d’une meilleure connaissance mutuelle entre tous les pays se réclamant de la civilisation musulmane, parallèlement à une meilleure connaissance des autres civilisations.

Il en est parmi certains penseurs dans le monde arabo-musulman qui soutiennent une idée selon laquelle l’Occident ne sait rien de nous et qu’il faut à tout prix lui apporter une connaissance de notre culture. En réalité, et si on prend la peine de consulter les ouvrages de l’époque, et jusqu’à nos jours, on découvre que l’Occident a accumulé, au fil des siècles, un savoir quasi égal sur soi-même et sur les autres. Dès la fin du Moyen-âge, à la faveur de l’héritage arabo-andalou, l’Orient arabo-musulman a fait l’objet d’investigations et d’études qui n’ont fait que s’amplifier par la suite. Il ne faut omettre le travail gigantesque de mise à jour de notre patrimoine, entrepris et réalisé par l’orientalisme depuis plus de deux siècles, même si certains penseurs occidentaux de cette époque péchaient par un manque d’objectivité dans leur vision de l’Orient, sans doute animés par des buts inavoués ou non de conquête, ou d’appropriation des richesses. L’époque andalouse a été le moment fort de l’emprunt mutuel qui a produit la civilisation que l’on connaît. C’était le temps où le monde musulman a manifesté une réelle curiosité vis-à-vis du monde chrétien, même si d’aucuns, parmi les penseurs arabes et occidentaux de cette période, et même de nos jours, ont pu soutenir, à tort, un postulat selon lequel l’Orient et l’Occident accusaient de trop grandes différences pour pouvoir s’entendre sur une démarche d’approche et de dialogue. En tout cas, on ne peut reprocher aux lettrés Arabes de l’époque médiévale d’avoir manqué de curiosité vis-à-vis des autres cultures situées dans la sphère d’influence de l’islam. Il suffit de citer Al Biruni et Ibn Khaldoun, dont le livre Prolégomènes reste encore aujourd’hui un modèle d’observations intelligentes et pertinentes des sociétés dépeintes.

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