Ali Mouzaoui : le désenchantement d’un pays qui s’enlise
Celui qui se fie au titre et qui croit trouver dans ce roman d’Ali Mouzaoui, intitulé Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles un récit pastoral à la Marcel Pagnol ; c’est-à-dire une sorte d’écrit où dominerait des émois d’amour et de magnifiquesimages de la nature, à l’instar du Château de mon père, se trompe. Même si, effectivement, on y trouve une histoire d’amour et un enchaînement de descriptions qui accompagnent le récit, il n’y a point, par contre, de scènes bucoliques ou de sublimation de la nature. La nature ici n’est évoquée que pour décrire un drame ou juxtaposer une désillusion ; un peu comme un miroir qui nous donne l’envers de l’hymne à la beauté ou à la liberté.
Des scènes flash, comme au cinéma, se livrent soudainement, pour nous relater un drame, un souvenir à forte charge émotionnelle ou un changement de destin de l’un des personnages.
Dans ce village, Thirga, tel un rêve, Arezki, Houria, Idir, Chavaneet, Salah sont comme ces oliviers millénaires, « ils se penchent pour couvrir les drames qu’ils ont vécu pendant la lutte pour la libération nationale. »
Marqués à jamais par les horreurs de cette guerre, ces personnages tentent, chacun avec ses manières, de survivre. Dans ce roman ficelé tel un récit témoignage, les personnages décrivent tous ou presque une immense détresse, une désillusion. Tous entrelacent des motifs liés à la tragédie de la guerre. Bien que les histoires soient différentes, l’omniprésence de la guerre rajoute un accent de tragédie et de violence. Elle a fait d’eux, des êtres ayant tous de lourdes et traumatisantes histoires. Idir, le père d’Arezki, le moudjahid, est le personnage le plus torturé dans ce récit. Il est à lui seul un condensé de réalités amères de l’Algérie d’avant et postindépendance. Mais les itinéraires des autres ne sont pas pour autant univoques. On n’y trouve pas que des héros courageux aux grandes finalités humaines qui jouent dans cet espace de drame et de malheur. A l’instar de Chavane, il y a aussi des opportunistes qui, pour squatter une belle maison en ville, n’hésitera pas à tuer des innocents après la guerre ; ou, pour assurer son ascension sociale, à sacrifier ses principes, sa famille et son humanité. Salah, cet oncle d’Arezki, lui, s’enferme dans le silence et plus tard dans l’exil pour avoir vécu un déshonneur terrible, celui d’avoir participé sous les menaces d’un sergent corse à violer sa cousine Sadia. Les outrances liées à la guerre et à l’après-guerre sont peintes ici crument et sans dissimulation. C’est une forme d’inventaire du mal avec des images torrentielles de violence et de drames. L’interférence de plusieurs personnages à la fois donne un sens plus large à l’histoire… Les premières années après l’indépendance, la scolarité d’Arezki et de sa sœur (Houria), la révolte du FFS avec son lot de mort et de désillusion… bref, des itinéraires de chacun avec les effluves de la vie qui s’étirent et qui s’accentuent… L’univers du narrateur est celui des enfants où dominent l’innocence, la vérité, la passion et le rêve. La vérité quand il brosse ce tableau réaliste des années postindépendance où il décrit notamment les errements d’un pays qui enterre, dans tous les sens du mot, ses propres héros et son Histoire ; ou quand il met en avant ces personnages crées pour jouer dans ce grand cirque de détournement de l’Histoire. Quant au rêve, il est, ne serait-ce que dans cet élargissement de ce récit au songe et à la poésie. Enfin pour la passion, notamment celle des oiseaux, elle n’y est pas qu’un décor ornemental, loin s’en faut. L’auteur n’y revient pas à chaque fois seulement pour amuser le lecteur ou le distraire. Cette passion des oiseaux n’est pas uniquement comme il le dit « cet univers de rêves et d’enchantement. » Elle y est aussi pour rappeler à la conscience la fragilité de notre existence. Il s’agit de montrer une vie fragile mais animée où la beauté et le chant doivent être inlassablement répétés pour exister. C’est la seule échappatoire d’Arezki dans cette véritable invasion du mal qui prend en otage toute son enfance et son adolescence. Comme à la poursuite d’un dérisoire devant ce déferlement de la souffrance, il tient une sorte de monologue intérieur sur la vie des oiseaux et des animaux. A la fin, contrastant avec toute cette cruauté et ces cauchemars, un amour inattendu, bouillonnant dans sa puissance juvénile, surgit à l’improviste. Un amour toutefois qui frise l’inceste puisque c’est Houria, la sœur adoptive d’Arezki qui tombera amoureuse de lui. Mais au lieu d’en faire une promesse de lendemains enchanteurs, une nouvelle fois le destin s’acharne. La mort et les drames, une nouvelle fois, reviennent. Le dénouement ne pouvait qu’épouser l’inexorable désenchantement d’un pays qui se meurt lentement. La fin ne pouvait contredire les faits depuis le début. Un livre à lire absolument.