L’Emir Abdelkader vu par Malek Chebel
Dans son célèbre ouvrage intitulé Dictionnaire amoureux de l’Algérie, l’anthropologue des religions et islamologue algérien Malek Chebel a consacré une bonne partie à l’Émir Abdelkader, qu’il considère comme « l’Algérien le mieux décrit par les chroniqueurs, le plus peint, le plus connu et, sans doute, le plus vénéré. »
Dans cet ouvrage aux allures érudites qui brasse les recoins les plus infimes d’une Algérie méconnue, Malek Chebel, en historien avéré, retrace le parcours de « Muhyi ad-Din, littéralement « le Vivificateur de la religion ». » « Abdelkader est né à quelques encablures de Mascara et est mort à Damas, en 1883. Chaque historien, chaque militaire français, chaque révolutionnaire, chaque franc-maçon, chaque membre de sa confrérie s’est réclamé de sa haute stature et s’est dit proche de sa personne, même à titre de zélé serviteur », écrit-t-il.
Revenant sur le combat de l’Emir contre les Français, Malek Chebel a rappelé que « le prestige du cheikh de la Qadiriya, sa confrérie, était sûrement très grand au moment où il combattait les Français, mais ses détracteurs n’hésitèrent pas à montrer avec perfidie que ce prestige avait augmenté après la signature du traité de la Tafna, que lui imposa le général Bugeaud, le 30 mai 1837. » Ce prestige, note Malek Chebel, n’enlève rien à l’ambiguïté, au « goût de l’inachevé », qui l’entouraient après sa pérégrination à Damas. « Était-il vraiment le « révolutionnaire » sans tache que les Français, magnanimes, surtout après que le duc d’Aumale, eut mis la main sur la smala en 1843, puis en 1944, lui reconnaissent non sans calcul ? Était-il le « le traître » qui a pactisé avec l’ennemi et qui a cherché surtout à sauver sa personne, et son clan, au lieu de mourir au combat, le fusil à la main, dans sa région de Mascara, à Sidi Bel Abbes, à Saïda, dans l’Ouarsenis ou au Dahra ? Avait-il sauvé l’Algérie, ou l’avait offerte à l’armée française en se fiant à on instinct de survie et à son pragmatisme ? » se demande-t-il.
Par ailleurs, Malek Chebel a assuré que les émirs locaux, contemporains de l’Emir Abdelkader, à l’image de El-Ghomari, chef de la tribu des Angad, Si Laribi du Chélif, Tedjni, son ennemi intime, ne le ménageaient pas, car « tous étaient prêts à pactiser avec la France. » Quant à l’Emir, poursuit Malek Chebel, « il a toujours senti ce danger rôder autour de sa gloire naissante et cherché à soumettre ses rivaux », c’est pour cette raison qu’il a marché contre Si Laribi, en signant le traité de la Tafna. « Au fond, l’État algérien au temps de l’émir s’est subitement réduit à une petite province de quelque 100 kilomètres carrés, noyé dans un vaste ensemble large de 1000 kilomètres au nord et profond de 3000 kilomètres au sud. L’idée est alors que chaque région de l’Algérie puisse s’avancer seule vers l’armée de France, malgré cela, le traité n’a jamais été scrupuleusement appliquée ni respecté », explique Malek Chebel.