Du mépris à la négation de soi

Les correcteurs du baccalauréat sont offusqués. Choqués. Froissés et offensés. Et beaucoup d’entre eux sont littéralement scandalisés. De voir la langue algérienne reprendre ses droits. Et retrouver le chemin de ses marques. De constater que sur plusieurs copies de cet examen emblématique, des candidats ont écrit en « âamiya ». En langue basse. En langue mineure. En non langue. Ces satanés candidats ont osé écrire en algérien. Et voilà nos correcteurs furieux. Quelle paradoxale négation de soi ! Portée en bandoulière par des enseignants prétendant cultiver les valeurs intrinsèques de l’être social authentique. Et dont la mission principale est de le faire aimer, affectionner et chérir par tous ces adolescents en quête de repères.Ils sont vexés car seule la langue arabe conventionnelle, la langue du formel, a droit de cité. Considérant que la « âamiya » n’en est que la version périphérique. La version dégradée. La version honteuse. Que diraient-ils alors de toutes ces expressions qui sont apparues ces dernières années, portées à bout de pétillance par ces mêmes adolescents. Des expressions nées au cœur du mal-être. Dans l’incandescence du brasier. Dans les bras du malaise. Dans le giron de l’incertitude. Zafta, Boumba, ballotta, habba, babbicha, ennech, el hedda… Ce verlan algérien qui a le génie d’inventer ses propres mots. Des mots nés pour exprimer le désir de vivre. Pour casser quelques unes des barrières faussement altières. Des palissades à l’allure de clôtures. Élevées sur l’autel de l’inamovible bêtise. Des mots qui tournent le dos aux ellipses du bois massif. Des mots qui vont à l’essentiel. Et qui expriment leur bonheur d’être prononcés. Par des gens neufs. D’être portés à bout de cœur par une génération qui n’est pas en manque d’imagination. Qui ne manque pas d’élan. Qui n’est pas en panne de métaphores. Une génération qui parle à sa société. Une génération qui savoure les rares instants de bonheur. Exprimés en bouquet de mots. Comme des bruissements colorés. Comme une floraison d’étincelles brandie à la face des faiseurs d’opacité. Ces fieffés museleurs. Gardiens de temples obscurs et froids. Piqués de voir des copies tatouées par des mots vivants. Des mots vibrants. Jaillissant des entrailles d’une société qui exprime. Une société qui s’exprime.  Une société qui ne répugne pas de s’exclamer. Une société qui refuse de se terrer dans la fixité d’un monolinguisme mortifère. Ces correcteurs doivent donc urgemment corriger leur plate vision de la langue algérienne. Ce n’est ni une âamiya, ni un dialecte, ni un arabe dégradé. Encore moins un pas en arrière. Mais bel et bien une langue à part entière.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *