Amel Zen, la passion de la liberté
Théoricien de l’art engagé, Sartre ne cesse de rappeler que l’art n’a pour mission que d’éveiller les consciences, à condition qu’il doive d’abord remplir sa fonction d’être un art dans le sens esthétique du mot. En d’autres termes, on n’écrit pas, on ne chante pas, on ne crée pas pour nos tiroirs. Qu’est-ce qui donc pourrait le plus picoter l’âme humaine à part une harmonie de sons et de silences, de cris et d’aspirations à la liberté ? Qui peut provoquer une telle débandade d’émotions en temps de révolution à part Amel Zen ?
Cette artiste dont la voix secoue les montagnes de son terroir, se tient à côté du peuple algérien dans sa révolution pacifique. Amel Zen est à la fois l’incarnation du refus des injustices et la douce voix des opprimés. Omniprésente, déterminée, admirablement intransigeante quant à ses principes, elle chante la liberté d’un peuple sous le joug dictateur de ses propres gouvernants. Dans son vocabulaire, le champ lexical de liberté et révolutions occupe la plus grande partie. Pour elle, « s’impliquer, c’est vivre, exister, participer à l’édifice et poser sa pierre ». « En tant qu’artiste, je ne fais que témoigner de mon temps, de la volonté de mon peuple, je lie ma voix à celles de mes compatriotes, je l’élève…. Ma voix mon seul outil de résistance. Je ne suis qu’une note de musique dans toute la partition de l’œuvre «la voix du peuple qui veut sa liberté et sa dignité », estime-t-elle.
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Née à Cherchell, une ville qui a vu grandir sous son aile tant de femmes libres à l’image d’Assia Djebar, Amel Zen, de son vrai nom Amel Ibedouzene, a fait, rêveuse, ses premiers pas vers la musique dès son enfance en rejoignant l’association El Kaissaria dans sa ville natale. Au talent qui saute aux yeux, brillante étoile parmi ses camarades, elle fera partie de l’Orchestre régional d’Alger et l’Orchestre national d’Algérie avant de participer à Alhan wa Chabab où elle quittera la compétition au quart de final marquant son public par l’authenticité de sa voix et la finesse des touches nouvelles qu’elle apporte aux chansons interprétées, «Après cette belle aventure, j’ai dû chercher mon identité musicale en travaillant sur mes différentes inspirations, passant par l’andalous, le chaabi, l’amazigh dont le daynan (style de la région de Tipaza) le Pop, le Rock, le Jazz, et la musique du monde en général », explique-t-elle.
C’est en 2019, au moment où tout le peuple algérien s’est insurgé contre le pouvoir totalitaire qui le brimait depuis plus d’un demi-siècle, que Amel Zen a joint sa voix à celle de millions de femmes et d’hommes qui battaient les pavés du pays à chaque mouvement de l’univers pour réclamer leur part de dignité, de liberté, de vie. Tout en se mobilisant en sa qualité de citoyenne dans les marches et les rassemblements, elle offre sa voix au chœur des opprimés et dit avec eux leur soif de justice, leurs frustrations, leurs aspiration. Son single Amhevus n tlelli (Le prisonnier de la liberté) résonne comme un hymne intemporel à la liberté. En effet, les chansons de Amel Zen ne concernent pas uniquement l’Algérie, elles s’élèvent au rang de l’universel et font frémir tous les cœurs habités par des causes justes, toutes les consciences violées mais restées fermes. « L’art et l’engagement politique se conjuguent parfaitement, et spécialement en cette période, pour témoigner du message populaire, mais aussi pour exprimer mon opinion face aux différentes péripéties que connaissent le pays et la révolution pacifique. Je m’exprime naturellement dans les deux langues : La citoyenne et l’artistique », affirme Amel Zen.
Polyglotte, musicalement polyvalente, inépuisable source de voix et d’harmonies, Amel Zen n’a jamais cessé d’enchanter son public, aussi bien par des chansons engagées, que par des airs doux et sensuels qui sont autant de résistances contre la terreur islamo-conservatrice et d’appels fiévreux à la vie. « Il faut dire que la création n’a pas de limite, ni de période précise. Elle ne connait pas de crise mais elle s’en inspire, elle est là, elle nous interpelle et puis c’est tout ! Ce qui me motive en cette période, c’est ce besoin de liberté que nous revendiquons pour l’établissement de d’un État de droit et des libertés, c’est l’espoir de voir une Algérie debout et, enfin, c’est ce devoir moral d’expression contre l’injustice que nous vivons », nous confie Amel Zen.
Le premier album d’Amel Zen datant de 2013 mixe l’ethno-pop, le rock et le chaâbi, une belle manie artistique qui prouve l’originalité de sa démarche. En 2015, elle se tourne vers l’andalous, berceau de son talent d’interprète et fait du célèbre texte de Cheikh Mohamed Ennadjar Tlata Zahoua Ou Mraha une chanson inclassable dans les rayons des genres musicaux contemporains. Pour avoir touché ce texte andalous faisant partie du patrimoine et essayer de le sortir de son climat puriste et élitiste, Amel Zen aurait pu susciter de violentes réactions de la part des gardiens du temple musical algérien. Toutefois, grâce à son talent fougueux et précieux, elle a au contraire inspiré confiance et admiration. Car, c’est comme ça Amel Zen, elle aime l’aventure et l’innovation mais elle aime aussi la beauté et l’excellence.