Anouar Benmalek flingue le système algérien et défend les détenus d'opinion
Anouar Benmalek, ex-secrétaire général du Comité Algérien Contre la Torture crée dans le sillage des événements d’octobre 1988, reste fébrilement fidèle à sa posture d’écrivain engagé. En plus des thématiques que traitent ses romans, notamment l’universalité de la souffrance et de la douleur qu’il met en scène dans des contextes multiples et qu’il conçoit comme autant d’appels à la réhabilitation de la sacralité de l’homme, il ne rate aucune occasion de crier sa colère intellectuelle face aux dérives des systèmes politiques.
« Une position de flèche dans le combat contre le mal ».
Dans une lettre au ton irascible qu’il vient d’adresser , à travers sa page Facebook officielle, aux autorités algériennes, il exprime à la fois son admiration de la fougue et de la vigueur qui habitent les Algériennes et les Algériens, leur passion de l’impossible, et son indignation face aux réactions grossières et infâmes du pouvoir. « Cette audace incroyable de l’Algérienne et de l’Algérien de se vouloir enfin citoyens, presque soixante ans après l’indépendance et de le clamer haut et fort est insupportable d’impudence pour les différents clans qui constituent le pouvoir algérien ! Les moyens les plus arbitraires sont alors mobilisés par ce dernier pour mater ce peuple rêvant de liberté et que lui, le conglomérat protéiforme qui maltraite l’Algérie, ne considère que comme un ramassis de moutons apeurés tout juste bons à subir une « hrawat el klab » (raclée de chiens), selon l’expression amusée d’un sinistre tortionnaire des services de sécurité dans les années quatre-vingts, » écrit-il avec majesté.
Anouar Benmalek a toujours été un écrivain « embarqué », angoissé par les questionnements qui habitent sa société, les remous et les frissons qui la secouent. On le savait intransigeant de par son passé de militant contre la torture et son exigence dans l’écriture qui l’ont érigé en symbole inébranlable de la résistance intellectuelle en Algérie, mais, là, en s’adressant directement aux autorités à travers une lettre ouverte au vitriol, il assume un irréversible face-à-face avec les forces du « mal algérien », un face-à-face qui rehausse sa trajectoire d’homme debout. En 2003 déjà, dans son excellent livre Chroniques d’une Algérie amère, il écrivait : « Prenons garde, nous Algériens, d’oublier cette règle simple de toute éthique sociale, que celui qui commet un crime doit payer car alors, en paraphrasant Pascal, ne pouvant fortifier la justice, nous aurions justifié la force! » Aujourd’hui, il est toujours sur la même lancée, occupant comme il aime le dire « une position de flèche dans le combat contre le mal ».
Anouar Benmalek: un intellectuel et demi
Ce faisant, Anouar Benmalek administre une belle leçon de responsabilité morale et citoyenne à ceux qui, par calcul ou par couardise, se maintiennent toujours à équidistance des bourreaux et des victimes au nom d’une supposé « sagesse » ou d’une immoral propension au compromis. L’auteur du Fils de Shéol, lui, ne tergiverse pas et n’hésite pas devant la félonie qui pèse sur une bonne partie de l’intelligentsia algérienne. Il accuse, il tire, il assume. Il compromet toute possibilité de compromission future avec ces adversaires du jour. Comme Sabato, comme Kateb et comme Labou Tansi, il est entier. Il détruit les ponts derrière lui pour ne plus avoir à reculer. Il avance, majestueusement et fièrement, vers la vérité qui libère, la liberté qui éclaire… « Honte à vous, gens du pouvoir, divisés peut-être entre différents groupes prédateurs, mais toujours unis dans un semblable mépris envers la nation ! Honte à vous également, valets de ce même pouvoir, qui salissez de manière si indigne le terrible et grave métier de juger des concitoyens, non pas en votre âme et conscience, mais en vous inclinant si lâchement devant les injonctions illégales de vos maîtres du moment ! » écrit-il dans sa lettre qu’il dédie aux prisonniers politique et d’opinion en rappelant qu’ils ont été arrêtés « simplement pour avoir osé mettre en œuvre les droits et devoirs que leur reconnait la Constitution : le droit à l’expression et à l’association politiques libres et celui de manifester publiquement et pacifiquement l’opposition au régime, le devoir de combattre la corruption qui gangrène les institutions nationales et celui de transmettre à la nouvelle génération une Algérie plus « propre » et plus fière d’elle-même. »
À travers cette position franche et courageuse, Anouar Benmalek se réaffirme comme un écrivain ayant un sens très élevé des responsabilités intellectuelles et de l’exigence morale qui, en principe, constituent l’essence de toute personne naviguant dans les humanités. Anouar Benmalek est, de ce fait, un intellectuel et demi.