Le rapport de Stora est en deçà des déclarations de Macron
Le rapport de Benjamin Stora est en deçà des déclarations d’Emmanuel Macron à Alger en décembre 2017 lorsqu’il a déclaré que « la colonisation était un crime contre l’humanité ». Devenu Président de la République, il réaffirme sa condamnation dans deux discours, à Ouagadougou (Burkina Faso) et à Abidjan (Côte d’Ivoire). La condamnation de la torture est sans appel lorsqu’il rend visite à la femme de Maurice Audin (Malika Rahal a consacré un ouvrage à Ali Boumendjel, lui aussi assassiné en 1957). Last but not the least, quelques temps après, il compare la guerre d’indépendance algérienne à la Shoah. Si tel avait été le point de départ du rapport, B. Stora aurait certainement fait des préconisations plus fortes.
Le rapport demandé à B. Stora « porte sur les questions mémorielles liées à la colonisation et à la guerre d’Algérie » et doit faire un état des lieux juste et précis du chemin parcouru en France. Si la guerre d’indépendance est abondamment traitée, il n’en est pas de même pour les périodes antérieures. Le 19e siècle est présent avec l’Émir Abdelkader et le transfert en Algérie des cranes des résistants algériens déposés depuis dans un musée. Or, il fut une période, 50 ans, de conquêtes militaires, d’épidémies et d’expropriations dans tous les domaines. La période qui suit jusqu’en 1954 n’en est pas moins importante, ne serait ce qu’en raison du code de l’indigénat et la paupérisation des Algériens.
Le rapport ne prend pas en compte les expériences de réconciliation après un conflit. Elles sont nombreuses, de l’Afrique du sud à l’Amérique du Sud (Chili-Argentine) :
- la commission Vérité et Réconciliation de l’Afrique du Sud a examiné dans le détail, les crimes commis par le régime d’apartheid. Elle a entendu de nombreuses victimes et témoins et a élaboré un récit acceptable du passé, obtenu sa reconnaissance, toutes conditions nécessaires à une réconciliation recherchée ;
- en Asie, le conflit mémoriel né de l’occupation par le Japon de la Corée et de la Chine a été effectivement difficile à surmonter, les trois pays ont néanmoins réussi à rédiger un manuel d’histoire commun. Leur expérience ne peut pas être ignorée totalement.
Dans les situations post conflits, il n’y a jamais une seule mémoire des crimes commis. Les mémoires sont toujours nombreuses mais ce n’est pas une raison pour occulter les responsabilités. De plus, mettre toutes les mémoires sur le même plan n’est pas forcément une preuve d’équilibre et de justice. Faut-il rappeler que la mémoire algérienne est celle de tout un peuple qui a combattu pour sa liberté pendant près de 8 ans ?
Le conflit Japon-Chine- Corée du Sud est récusé par l’auteur du rapport alors que le conflit franco-allemand n’est pas évoqué. Il est pourtant le plus proche du cas algéro-français en raison de la sensibilité et des passions qu’il suscite. La France et l’Allemagne se sont fait trois guerres et ce n’est que dans les années 1960 (traité de l’Élysée) que s’est concrétisée la réconciliation germano-française. Je signale au passage qu’une universitaire belge a rédigé tout un livre sur la comparaison des relations franco-allemandes et franco-algériennes dans ce domaine.
L’incertitude plane sur les destinataires des préconisations. Beaucoup d’historiens et de journalistes considèrent que le rapport est d’abord franco-français. Si tel est le cas, ce serait une affaire intérieure française, l’Algérie n’aurait pas son mot à dire dans ce cas. Si le rapport est à usage exclusivement interne, il n’est pas sur que les préconisations donnent satisfaction aux uns et aux autres. La colonisation fait partie de l’histoire de France dans l’Outremer mais aussi en France même. Ses conséquences dans la métropole ont été longtemps sous estimées alors que l’État nation français s’est construit dans et par la colonisation. Les traces subsistent jusqu’à aujourd’hui dans l’éducation, la culture et l’opinion publique. Des préconisations relatives à l’histoire (recherche et enseignement) devraient être prioritaires. Si le rapport s’adresse aux algériens, il faut attendre de connaître le point de vue algérien. Une réaction plus rapide serait souhaitable. Y aurait-il des convergences qui ouvriraient une ère nouvelle des relations algéro-françaises ? Pour l’heure, la balle est dans le camp français qui peut donner un signal clair. Le président Macron sera-t-il un président post colonial ?