« Nous avons le devoir de sauver nos corps tout autant que nos âmes » (Ahmed Gasmia)
Parler d’optimisme dans un monde en détresse permanente est un exercice ardu ; le faire tout le temps et en faire une philosophie de vie est un art. Ahmed Gasmia, écrivain et rédacteur en chef de Maghreb Emergent, doucement et sûrement, tend à en devenir l’apôtre. Tous ses livres regorgent d’optimisme. « Une fin heureuse », c’est finalement ça qui compte pour lui. En cette période de pandémie où tous les questionnements sur « demain » se soulèvent, il a bien voulu répondre à des questions d’Algérie Cultures sur le sujet. Interview.
La pandémie qui frappe le monde depuis plusieurs semaines montre la fragilité de l’homme face à la nature et face à ce qui peut résulter de ses propres erreurs. Peut-on dire que l’homme est aujourd’hui mis en demeure de se redéfinir et de redéfinir son rapport au monde d’une façon radicale ?
Cette pandémie nous a forcés à nous arrêter pour réfléchir. Et l’arrêt, ici, prend un sens concret puisque des milliards d’humains sont obligés de rester chez eux depuis plusieurs semaines. Mais si cette pandémie est porteuse d’un message universel, il me semble que ce message est trop grand pour être perçu dans sa totalité, puisque les lectures qui en sont faites diffèrent d’un groupe d’humains à un autre. Beaucoup d’écologistes ont vu en cette pandémie un rappel à l’ordre de la nature, une mise en demeure après les outrages faits à la planète. Les croyants, de différentes religions, ont la conviction qu’il s’agit d’un avertissement divin parce qu’ils se sont éloignés du droit chemin.
Lire aussi: « Les peuples du ciel » : dans l’immensité de la… conscience humaine
En Algérie, par exemple, les rationalistes ont assuré que cette pandémie était là pour nous rappeler l’importance de la science dans la survie des peuples. Ailleurs, au sein de l’Union européenne, des voix se sont élevées pour clamer que l’épidémie était venue confirmer ce que beaucoup pensaient de cette union qu’ils ont toujours considérée comme « factice ». Au final, cette pandémie pousse les gens à reconsidérer les choses mais de manières différentes et, bien souvent, les confortent dans les idées qu’ils avaient déjà. Certains sortiront certainement différents de cette expérience, mais il est difficile de dire que cette pandémie mondiale nous délivrera le même enseignement.
Cette crise nous met devant un dilemme qui est de nature à déterminer les tendances qui vont marquer la vie de demain : céder devant la violence du covid 19 ou mobiliser toutes nos ressources morales pour résister. Céder ou résister, est-ce vraiment un choix ? A-t-on les moyens de choisir maintenant que nous sommes acculés ?
Je pense que céder n’est pas une option envisageable. Les humains, en général, ont toujours fait ce qu’ils étaient censés faire en des moments pareils, particulièrement parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix. Aujourd’hui, la pandémie du Covid-19 a redéfini nos priorités et nous a imposé de nouveaux repères. Nos héros portent des blouses blanches, ce sont des scientifiques, des médecins, des infirmiers, des bénévoles. Notre champ de bataille est le corps humain, et tout se résume à cela, au final. Toute notre énergie est à présent focalisée sur nous-mêmes. Et dans cette confusion fiévreuse, des questions ont surgi : sommes-nous capables de sacrifier les plus âgés et les plus fragiles d’entre nous pour garantir notre survie et celles de nos économies ? Sommes-nous capables de nous entraider en tant qu’humains et en tant que nations pour nous sortir de cette crise ? Des questions auxquelles nous sommes forcés de répondre par des actes concrets. En somme, durant cette épreuve que nous vivons aujourd’hui, nous avons le devoir de sauver nos corps tout autant que nos âmes. Une grande épreuve.
En défenseur intransigeant de la lucidité, Emil Cioran plaide dans son célèbre livre Les cimes du désespoir pour le pessimisme radical qui aurait, selon lui, des vertus thérapeutiques. Pour lui, c’est « l’amour morbide de la vie » qui cause de la ruine de l’humanité. « Pourquoi je ne me suicide pas ? Parce que la mort me dégoute autant que la vie », écrit-il. Vous, en tant qu’écrivain, vos livres comme Promesse de bandit ou Les peuples du ciel regorgent d’un optimisme joyeux, qui aide à voir la vie en rose, et peignent une foi implacable en l’homme. Comment vous arrivez à peindre l’optimisme dans un monde aussi crépusculaire que celui des hommes ?
Dans mes romans, je défends l’idée du possible et non pas un optimisme invraisemblable et naïf. Je parle de personnages qui se battent pour ce qu’ils veulent obtenir. Je n’aime pas les histoires tristes et cela se voit dans mes romans. C’est assez rare dans les textes algériens, tellement rare d’ailleurs que vous me posez cette question et je le comprends parfaitement.
À mon avis, la logique est la vraie clé de l’optimisme. La superstition, vous l’avez remarqué, vous parle bien plus de malheur que de bonheur. La logique, dans sa neutralité, remet les choses à leurs places. Si vous êtes logique, vous ne pouvez pas dire, par exemple, que le sort s’acharne sur vous. Le dire serait déjà se donner trop d’importance. Être logique, c’est accepter et comprendre l’existence de choses négatives et tristes. Si je crois que ce monde est « crépusculaire », comme vous le dites, je suis forcé de croire que ce même monde sait ce que c’est que le lever du soleil après la nuit.
Être logique, c’est comprendre qu’un monde n’est pas fait uniquement de choses positives ou négatives. Être logique c’est, par exemple, se demander pourquoi les centaines de milliers, voire les millions de voyantes et d’astrologues qui peuplent le monde n’ont pas vu venir la pandémie du Covid-19, c’était quand même un événement assez grand pour être visible. Cette question posée, on cesse naturellement de croire aux pouvoirs de ces gens et on cesse aussi d’avoir autant peur de ce que nous ne comprenons pas encore.
On dit souvent « Souriez à la vie et la vie vous sourira ! » L’optimisme est un état d’esprit qui permet de changer notre perception du quotidien et de créer la vie que nous voulons. Mais l’optimisme est aussi quelque chose qui se cultive et s’entretient par des exploits, des réussites et des défis que l’être humain a réalisés et réalisent au quotidien. Quels sont aujourd’hui les éléments les plus emblématiques sur lesquels l’homme peut s’appuyer pour continuer à être optimiste ?
Les raisons qui pourraient pousser les humains à être optimistes sont probablement aussi nombreuses que celles qui pourraient les pousser à être pessimistes. C’est une question de choix. Mais je resterai cohérent en disant que la logique, et donc la science, est la clé de l’optimisme. Le progrès scientifique est bien un facteur d’optimisme pour l’avenir. Evidemment, si on choisit d’être pessimiste, on se méfiera certainement des effets secondaires de cette science. Ce n’est certainement pas en étant pessimistes que les humains ont conquis de nouveaux territoires, bâti des civilisations et regarder, ensuite, vers le ciel pour rêver de conquêtes spatiales. Le savoir nous donne confiance en nous. Faisons confiance au savoir.