L'Espagne, une approche migratoire
L’Espagne est l’un des derniers pays touché par les phénomènes migratoires ; des côtes où se produisent encore des tensions provoquées par l’arrivée massive et la présence d’étrangers. C’est une chance.
Une chance dont les Espagnols n’ont pourtant pas su profiter. Les expériences antérieures des voisins de l’Espagne en politique d’immigration, principalement la France, l’Allemagne et le Royaume Uni, n’ont servi à rien. Par exemple, le parallèle qui existe entre ce qui s’est passé en France dans les années 80 et ce que nous vivons aujourd’hui en Espagne est étonnant.
Et même le type de discours: les étrangers qui prennent les emplois des Espagnols, des « illégaux » qui s’enferment dans les églises, régulariser ou non les « sans-papiers », arriver à une immigration « zéro », accords conjoncturels avec certains pays (essentiellement ceux du Maghreb), compromis signés avec des ONG d’immigrés… Et surtout la crise qui fait des ravages… et le débarquement massif d’Africains, de Marocains et d’Algériens principalement.
Une infinité d’aberrations qui me font penser que l’Espagne vient de découvrir aujourd’hui ce phénomène, pourtant ancré dans l’histoire et ses voisins il n’y a pas si longtemps. Et malgré cela, ni dans le discours de l’État, ni dans celui de l’opposition, on ne voit apparaître un projet sérieux, une politique sensée en matière d’immigration… surtout maintenant avec l’apparition sur la sphère politique de « Vox » un parti d’extrême droite avec un groupe parlementaire à l’assemblée.
L’une des questions qui surgit à chaque fois que l’on débat sur la construction européenne est comment faire front aux profondes transformations que drainent les actuels flux migratoires, essentiellement ceux de la rive sud de la Méditerranée, vers les pays de l’Union européenne. Et la première erreur à ne pas commettre est celle de ne pas prendre en compte la dimension de la nature de l’immigration comme un « fait social global », étant donné qu’il agit sur tous les éléments de l’ensemble social.
Limiter l’immigration à l’aspect laboral ou à l’intérieur du marché laboral est un raisonnement simpliste et réducteur ; c’est ignorer d’autres aspects fondamentaux et récents comme par exemple le fait l’Espagne soit considérée comme une étape, un passage obligé avant de remonter vers le nord, vers les pays plus « riches », ou alors que le « clandestin » se stabilise et augmente le pourcentage de la classe moyenne.
N’oublions pas que les migrations sont un phénomène planétaire qui doit être appréhendé dans le contexte de la mondialisation. Plus de 150 millions d’individus sont impliqués dans ces flux migratoires, et pas seulement du sud vers le nord, mais également entre les pays du sud, et du nord vers le nord.
Il s’agit donc d’un véritable défi historique qui nécessite des solutions globales, et qu’on ne peut pas éliminer en le présentant sous l’angle du péril et comme un danger que chaque pays peut résoudre en fermant ses frontières.
L’autre erreur est d’oublier que face à ceux qui nous parlent des migrations comme des phénomènes ou des mouvements menaçants guidés par le mirage de la richesse, il y a une réalité qu’on veut occulter : l’immigration est intégrée aujourd’hui dans le modèle de l’économie globale ; le travail clandestin, par exemple, est devenu quelque chose d’irremplaçable dans l’économie de certains pays récepteurs d’immigrés (les « africains » et « maghrébins » travaillant dans les serres et les cultures intensives en Andalousie sous une température de plus de 45° en été, en sont un exemple), et l’absence de volonté politique pour lutter contre ce phénomène est très révélateur sur son fonctionnement à l’intérieur du marché du travail.
Il n’y a pas de remède miracle. Mais on peut dire que l’une des premières nécessités est de connaître cette réalité. L’analyse de ces mouvements et la définition de leurs fonctions et structures sont également nécessaires. Il faut aussi organiser, planifier et réguler les flux migratoires. Il est impérieux de mettre en marche des actions par le biais d’accords avec les pays « producteurs » d’immigration. Développer des projets et des programmes qui nous permettront d’utiliser l’immigration en tant que facteur de développement commun entre toutes les parties impliquées.
La meilleure façon de garantir la stabilité et la sécurité entre les pays du nord et du sud, ce n’est pas l’aide humanitaire, mais plutôt la recherche d’une politique d’intérêt commun. Il faut donc déterminer ces intérêts communs et mettre en marche des projets concrets. C’est cela le véritable défi.
Et en ce qui concerne les politiques d’immigration, le premier changement doit être d’abandonner cette stratégie de fermeture des frontières qui nous fera arriver à cette utopique « immigration zéro », et mettre en marche, par exemple, ce que Sami Naïr (1946) appelle « l’immigration d’alternance ». (Voir Le Regard des vainqueurs : les enjeux français de l’immigration, 1992 ou encore L’immigration est une chance. Entre la peur et la raison, 2007.)
Il s’agit donc de transformer l’immigration en un facteur de développement au service des intérêts communs du pays d’origine et du pays récepteur. Gérer les flux migratoires, les organiser, et les rendre utiles pour les deux parties.
Il est vrai que ce n’est pas facile et que ça paraît utopique, mais il me semble que des programmes communautaires qui permettront de recevoir, former, rendre possible le retour au pays d’origine, mais aussi le retour en Europe en cas d’échec dans le pays d’origine, les échanges de jeunes, d’étudiants, permettront, au delà du mélange, la connaissance, la reconnaissance, et le changement mutuel d’expériences, de schémas, de modèles…
Il faut bien sûr, pour cela, une volonté politique des dirigeants des deux rives: le pari de l’immigration n’est ni dans l’assimilation, ni dans l’exclusion de « l’autre » étant donné que les grands bénéficiaires de cette transformation ne sont pas seulement les autres, mais également l’Espagne.