Porcinarium
Dans un texte de l’anthropologue américain Marvin Harris (1927-2001) intitulé « Porcophilie et porcophobie », publié dans un ouvrage dont le titre original en anglais est, si je me souviens bien, Cows, pigs, wars and witches: the riddles of culture, ce qui pourrait être traduit comme Vaches, porcs, guerres et sorcières: les énigmes de la culture, on trouve une explication plus anthropologique que religieuse sur l’interdiction de la consommation du porc dans certaines cultures et plus particulièrement en islam.
D’après les historiens, la domestication du porc a commencé dès la sédentarisation de l’homme au VIIe millénaire avant notre ère. Méprisé par les nomades, cet animal a en revanche été élevé et consommé par les fermiers sédentaires de la vallée du Nil. Il devient impur et tabou chez les Hébreux, les Phéniciens, les Cananéens, les Crétois, les Éthiopiens et les Indiens. En revanche les Romains, les Germains, les Gaulois, les Grecs en apprécient la chair.
Dans l’Ancien Testament, le porc est impur, car il se nourrit d’immondices, voire mange ses propres excréments. En conséquence, il est interdit aux juifs par la loi de Moïse, qui rejette tous les usages de sa chair, son cuir, ses entrailles, ses sécrétions. Le Talmud, l’un des principaux textes énonçant les lois juives, évite même d’en utiliser le nom. Les chrétiens lèvent ce tabou, mais l’islam le reprend
En fait le porc, khenzir ou halouf en arabe a toujours été un symbole d’impureté et de souillure. L’interdiction rédhibitoire de la viande de porc, qu’elle soit immolée selon un rituel ou non, tient à son impureté. Le Coran l’interdit sans aucune ambigüité dans plusieurs sourates. Chaque fois qu’il est question d’interdits alimentaires, le Coran évoque la souillure de cette viande immonde qu’est la viande de porc.
La consommation de porc est donc explicitement interdite dans le Coran (« Dieu vous a seulement interdit la bête morte, le sang, la viande de porc […] », sourate 2, verset 173).
Par ailleurs, il est curieux de constater que l’écrivain Ibn Khaldoun (1332-1406) prétend dans son œuvre magistrale Al Muqaddima que certains sorciers de sa connaissance étudient et utilisent un livre qui porte le nom évocateur de Al khanziriyya (Porcinarium), en vue de faire du mal à leurs prochains par le biais de sortilèges.
Cela étant dit, il semble que l’interdit de la viande de porc remonte à l’antiquité pharaonique. On sait que même Hérodote insiste sur ce point et précise que les porchers, même égyptiens de naissance, étaient refusés dans les sanctuaires, et faute de pouvoir prendre femme ailleurs, étaient contraints de se marier entre eux.
En outre, dans le Deutéronome, 14-8, du grec [deuterô nomos]; « deuxième loi. »
Cinquième livre du Pentateuque. C’est le livre de la Loi donnée par Dieu à Israël par l’intermédiaire de Moïse. Le thème de la fidélité et l’obéissance au Dieu d’Israël qui a sauvé et béni son peuple, constituent le « leitmotiv » qui revient sans cesse.
On peut y lire donc au sujet du porc :
« Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair, et vous ne toucherez pas leurs corps morts. »
Plusieurs écoles théologiques s’affrontent sur l’origine de cette interdiction : les plus conventionnelles d’entre elles mettent l’accent sur un ver contenu dans les fibres de la viande de porc, et qui ne s’activerait que lorsqu’elle est consommée par l’homme. Mais cet argument ne tient pas debout d’abord à cause des contrôles sanitaires modernes, et en plus les peuples qui consomment régulièrement la viande de porc ne semblent pas en souffrir.
Des explications d’ordre taxinomique ont également été développées : le cochon est impur et tabou car il appartient à une catégorie d’animaux « inclassables ». Il ne rumine pas, alors qu’il a le sabot fendu comme tous les ruminants. Cette anomalie en fait un être suspect, dangereux. Enfin le cousinage biologique entre l’être humain et le cochon est une autre explication avancée : l’anatomie, la physiologie, les maladies du cochon et de l’homme, et même leurs regards, se ressembleraient… (sic)
A notre sens, même si nous n’avons aucun élément tangible pour le prouver, il nous reste la dimension spirituelle. Dans la mesure où les décrets divins, les prescriptions religieuses, ne sont pas discutables, ni même ceux du Prophète, on peut, ou plutôt, on doit penser que la raison coranique, divine, en vertu de laquelle cette viande est interdite doit être considérée comme autosuffisante, et c’est à ce titre qu’une telle chair est prohibée en islam.