L’Amérique ou le délicat scrutin du 3 novembre
Assistera-t-on le 3 novembre prochain, lors du cinquante-neuvième scrutin présidentiel des Etats-Unis d’Amérique, à la chute de Donald Trump ? Ce n’est pas si sûr.
Retour en arrière pour rappeler que pour briguer la présidentielle américaine de 2016, Donald Trump n’avait pas fait dans la dentelle. Loin de là. D’emblée, il ne se gêna pas pour utiliser le mensonge comme arme politique de première main en disant qu’il avait toujours été opposé à la guerre en Irak, que des dizaines de milliers de terroristes étaient entrés aux États-Unis ou que le réchauffement climatique était d’une stupidité sans égal pour affaiblir l’économie américaine ou encore que Barack Obama ne serait pas né aux États-Unis et serait secrètement musulman ; etc. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », dixit Francis Bacon, philosophe et scientifique du XVIème siècle. Donald Trump lui-même s’était toujours moqué de ses contradicteurs, et il continue de le faire aujourd’hui encore, sachant que seul l’impact immédiat de ses déclarations sur les masses est déterminant. Richard Hofstadter, historien et auteur de « Le Style paranoïaque. Théories du complot et droite en Amérique », ne dit pas autre chose dans son explication selon laquelle « faire peur en agitant un péril imminent ; dénoncer le pouvoir comme incapable d’y faire face ; se présenter en sauveur de la nation, en incarnation du peuple », suffit si le message est répété souvent.
Trump capitalisa aussi sur sa virginité politique. Sans expérience politique et sans jamais avoir été élu auparavant, il retourna intelligemment ses propres faiblesses pour en faire des atouts à un moment où les électeurs rejetaient plus particulièrement les politiciens aguerris et archiconnus. Pour ses stratèges et lui, tout ce qui allait à l’encontre du bon sens était payant. N’était-il pas le seul candidat à avoir touché le cœur des électeurs blancs qui se sentaient délaissés, mais aussi blessés et comme insultés par l’élection de Barack Obama ? Lui, Trump, avait misé sans le cacher ni le travestir « sur le ressentiment racial et la solidarité blanche », une première en Amérique, car il savait mieux que quiconque que ces électeurs-là voulaient du personnel politique neuf incarné par une personnalité qui leur ressemble. Du populisme pur jus. Il n’avait pas hésité non plus à jouer sur le registre de la réussite en affaires en séduisant d’autres électeurs, et ils sont nombreux en Amérique, qui ne jurent que par le succès et l’argent. Les divisions du camp adverse et le rejet de son adversaire directe, Hillary Clinton, qui trainait des casseroles trop bruyantes à ce moment-là, ont fini par plier le match. Et c’est comme cela que cet homme impulsif, inculte et arrogant mais riche et connu, accéda au sommet du pouvoir américain comme une lettre à la poste.
A son arrivée à la Maison Blanche en janvier 2017, Donald Trump commença par accumuler les bourdes, et pas des plus légères. Son comportement ressemblait à celui d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il fit table rase de nombre d’accords internationaux ne craignant pas d’écorner la doctrine américaine en matière de relations internationales qu’il voulait à sa main. C’est un raisonnement primaire qui l’inspire par ailleurs quand il dit que la force militaire doit primer contre les ennemis des États-Unis, balayant d’un simple revers de la main l’ONU, l’instance appropriée et toute désignée pour anticiper et résoudre les problèmes internationaux avant que le rapport de force ne s’impose ou que la guerre ne prenne le dessus.
Il y a eu aussi l’affaire russe et le coup de pouce électoral à son profit qui n’ont guère fait progresser la démocratie aux USA : les investigations du procureur Mueller qui firent les choux gras des medias pendant longtemps se sont révélées insuffisantes pour le destituer légalement. Pas plus que ceux de son camp qui voulaient arrondir les angles et préserver l’image d’une Amérique forte et apaisée. Certains d’entre eux qui ne partageaient pas, ou peu, son cap et ses saillies, ont pris la porte sans ménagement. On l’a vu avec l’hécatombe qui a frappé ses collaborateurs : Rex Tillerson, son secrétaire d’État, Gary Cohn, son principal conseiller économique, Steve Bannon, son éminence grise, Reince Priebus, le secrétaire général de la Maison Blanche, Sean Spicer, son porte-parole, Michael Flynn, son conseiller à la sécurité nationale, etc. La liste des démissions forcées est longue parce que le modèle de résolution de problèmes de Trump n’obéit ni à la rationalité comme outil de compréhension des situations ni aux processus de décision habituels. Chez lui, le principe de « pas une tête ne doit dépasser » chapeaute très en amont la construction de solutions, souvent hasardeuses, aux problèmes posés à partir d’analyses et d’avis clonés qui finissent tous par lui donner l’impression qu’il a toujours raison alors qu’en réalité il a souvent tort.
Donald Trump a été jusqu’à ordonner unilatéralement le transfert de l’ambassade américaine en Israël de Tel Aviv à la ville Sainte en mai 2018, sachant que la communauté internationale dans son ensemble considère toujours Jérusalem-Est sous occupation israélienne. Les Palestiniens l’ont vécu comme le coup de pied d’un voyou dans le paquet de résolutions onusiennes votées sur le sujet et qui plaident toutes la justice et le droit international.
Reste un noyau dur électoral qui lui résiste jusque-là ; il est constitué par les femmes, les diplômés du supérieur et les minorités. Ces derniers sont davantage sur le front depuis la tragique disparition de Georges Floyd, un afro-américain, victime de violences policières, lors d’une interpellation musclée en mai 2020. Leur mobilisation est forte aujourd’hui mais combien pèsera-t-elle en nombre de voix lors du scrutin qui arrive dans peu de temps ? Combien de divisions ?
Ou alors le dernier rempart, la seule planche de salut, Joe Biden, un politicien trop lisse, trop âgé (77 ans), trop consensuel, trop « par défaut ». Ce dernier se voit néanmoins pousser des ailes depuis quelque temps ; il jure de « sortir les Etats-Unis des ténèbres » et dit combattre pour « l’âme de l’Amérique » en ajoutant, pour bien illustrer les dégâts de l’une de dernières affaires gérée par le président actuel « qu’il y a 3 millions d’Américains infectés par la Covid-19 et plus de 170.000 morts, soit bien plus que tous les autres pays du monde » ? Il est vrai que Donald Trump est en ce moment en chute libre dans les sondages. Son bilan est catastrophique, ses côtés misogyne et anti-culture plombent un peu plus ses chances, et ses propres électeurs commencent à douter. L’horizon se dégage-t-il pour autant ?
En tout cas, il est triste pour l’Amérique, et par ricochet pour le monde, de le voir disposer d’une chance, fut-elle minime, de rempiler dans une fonction qui fera de lui, pour encore quatre ans, l’homme le plus puissant du monde. Kamala Harris, la colistière de Joe Biden et première femme, noire de surcroit, à accéder à la vice-présidence dit que « l’Amérique mérite beaucoup mieux ». Elle a raison et vise juste parce que son propos va dans le mille. Le scrutin du 3 novembre devient en effet plus que délicat.
Mohamed Zitouni, auteur du roman « Le Gamin de la rue Monge, dans les derniers soubresauts de l’Algérie coloniale ». https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=68200