Modernisation du répertoire onomastique Kabyle : la prénomination en question

Il y a de plus en plus de préférences affirmées et exagérées pour tout ce qui est étranger à l’image de la mode, des productions cinématographiques et musicales, etc. qui nous viennent d’outre-mer. Les prénoms comme patrimoine immatériel n’échappent malheureusement pas à cette cadence qui prédomine les habitudes de nos sociétés dites en voie de développement en devenant des produits de consommation et, ne peuvent de ce fait résister à ce changement brusque. De ce fait, la population Kabyle en Algérie comme entité ethnoculturelle adopte peu à peu et à bras ouverts des prénoms qui ne riment pas avec sa langue et sa culture. Sans doute parce que involontairement, elle a fini par s’embarquer dans le train de la mondialisation et de la consommation exagérée de « biens symboliques »[1] sans pour autant savoir quelle destination à prendre.

Les prénoms racontent l’histoire des populations qui les adoptent et de ceux qui les choisissent. Ils nous disent long sur un parcours et un choix dénominatif hors pair. Partant de l’hypothèse que le prénom est un moyen de différenciation et un indice socio-identitaire et culturel, nous posons le problème suivant : En quoi ces nouvelles entités dénominatives nous différencient des autres communautés ? Portent-ils des indices ethnoculturels, identitaires et linguistiques de la population qui les adoptent ? Où en sommes-nous exactement avec la prénomination ? S’est-elle mise à contre-courant de ce « phénomène de mode » touchant les prénoms ? Y a-il une résistance au changement dans le mode de prénomination Kabyle ? Autant de questions qui méritent qu’on s’y attarde mais qui nécessite à elle seules toute une rubrique.

Ce renouvellement onomastique plus particulièrement prénominal est perçu comme un remaniement brusque des pratiques de prénomination. Que sont devenus les prénoms de nos aïeuls ?  Qu’ont-t-ils de si mauvais ? Les noms issus du réservoir onomastique local ne servent plus à grand-chose et ne peuvent à ce titre être réutilisé que rarement par quelques familles conservatrices visant à la perpétuation de la ligné. L’abandon des noms empreint de référents ethnoculturels, identitaires et linguistiques au profit de d’autres est soumis à une forme d’acculturation nocive et nuisant visant à déraciner. Le nom est loin d’être cette étiquette dénominative dénouée de toute signification particulière, mais il a une forte charge symbolique. Le nom peu entretenir la mémoire des êtres en devenant un « désignateur mémoriel » car la personne nommée se trouve liée par le nom/prénom qu’elle reçoit par l’entourage familial aux aïeuls qui les ont portés.

Le nom qui n’est pas prononcés ou formé des sons de la langue de la personne est un nom étranger qui ne reflète pas l’histoire et la langue cible. De ce fait le nom qui ne possède pas se tempo sonore de la langue maternelle de celui qui le porte ne porte en lui aucune histoire particulière de la culture de celui qui l’adopte et perd de ce fait son histoire et son essence. Le nom/prénom à notre avis doit impérativement comporté le signifiant de la langue maternelle et les traces de la culture d’origine.

 

La Prénomination en Kabylie : entre renouvèlement, modernisation et retour aux sources

Les prénoms berbères étaient interdits au passé, seuls les prénoms de souche arabe qui sont autorisés. Toutefois, ces dernières années on voit dans les pratiques de prénomination des Kabyles la réémergence des noms berbères. Ces derniers ont une valeur historique et symbolique. A côté des noms à consonance orientale et occidentale, il y a de plus en plus de préférence affirmée et soutenues pour les noms issues de l’histoire ancienne des Amazighs de l’Afrique du nord et de l’ancienne Numidie à l’instar de Massenssen, Tinhinane, Jugurtha, Amayas, Annibal, Takfarinas, Yougourthen, Juba, Gaya…. La fierté des origines, l’affirmation identitaire sont les seuls critères culminants déterminant le choix de ces appellations qui étaient, jusqu’ici, non tolérées par l’administration et l’état civil du pays. La résistance à ce changement se traduit par la transmission de l’héritage anthroponymique familial qui s’observe chez certaines familles attachées aux traditions et à la transmission de l’héritage culturel, linguistique et identitaire. La prénomination se fait toujours selon les mœurs. La mémoire de ceux qui ne sont plus de leur monde est entretenue et se manifeste d’emblée dans les pratiques de prénomination de l’enfant. La tradition se veut, comme ce fut toujours le cas d’ailleurs, d’affubler au nouveau-né le prénom d’un parrain décidé. Le fils ainé reçoit le prénom du grand-père paternel que ce soit de son vivant ou après sa mort. Quant à la sœur ainée, elle portera le nom de sa grand-mère. Une pratique devenue assez rare vu que les prénoms des grands parents ne sont plus à la mode et sont de moins en moins usité. Bien souvent, les jeunes couples pour ne poser que cette hypothèse, sont les plus embarqués par ce fait de mode et c’est la gente féminine qui en subi d’avantage contrairement aux garçons car certaines études ont révélées que le choix des prénoms des filles suit la mode en comparaison à celui des garçons dont le choix du prénom est puisé dans le registre onomastique familial ou local. De surcroit, le prénom participe à la construction de la personnalité de l’enfant et forge son destin et avenir. Il contribue de ce fait à la construction de l’image de soi et par conséquent de l’identité du sujet social. Les parents sont de plus en plus conscient de l’importance du prénom car pour eux il n’est donc pas accessoire mais essentiel et devrai suivre les nouvelles tendances prénominales devenues à la mode pour forger un meilleur destin social à leurs enfants.

 

Que reste-il des prénoms de nos aïeuls ?

Le constat est amer. Nous avons tué les noms, les nôtres, que nos aïeuls ont portés si fièrement. Nous les avons délaissés au gré d’autres dont les sons ne se rapportent guère au corps de notre langue. Nous avons tué leur symbolique, leur pouvoir régénérateur et de détenteur de mémoire familiale. Nous avons introduit ces Noms épines dans le corps dans notre langue et culture, et ça fait autant de mal ! Par ce choix, nous avons gommé et omit notre origine étant donné que le nom est la chair même de notre essence, de notre identité et origine séculaire. La consonance étrangère des prénoms de ces nouvelles générations malheureusement nous enchante et auxquels on ne pourrait nous en passer ou résister ! « La violence faite aux noms est une violence faite à la langue des noms » et à la culture des noms. Il va sans dire que les noms sont vivants, ils ont une âme. Ils sont porteurs de visages, de souvenirs car pour Céline Masson : « L’inscription du nom, parfois la photo du disparu, est la seule trace visible sur le lieu du mort (avec sa date de naissance comme prolongeant son nom). Le nom gravé comme la dernière inscription du vivant désormais décédé mais ce nom est porteur d’un visage à jamais gravé dans la mémoire des vivants proches du défunt. Un nom pour la vie que rien n’efface, pas même le ravage de l’histoire. Et c’est par la parole des vivants dans la transmission de la mémoire du disparu que se perpétuent le souvenir, le nom de celui, celle, qui a été des nôtres. Parler les noms, les mettre en bouche pour les générations futures, les rappeler comme une ponctuation nécessaire pour que la langue trouve son souffle. C’est avec les ancêtres que nous allons vers l’avenir. »[2]

En somme, n’est-il pas temps de faire face à ces prénoms dits à la « mode » et de nous réconcilier avec les noms de nos aïeuls ?

[1] Nous empruntons cette expression à Philippe Besnard dans son article «Pour une étude empirique du phénomène de mode dans la consommation des biens symboliques : le cas des prénoms » publié dans European Journal of Sociology / Archives Européennes de Sociologie, Volume 20, Issue 2, November 1979, pp. 343 – 351, DOI : https://doi.org/10.1017/S0003975600003453

[2] Masson Céline, « La langue des noms : changer de nom, c’est changer de langue. L’accent des noms comme trace des lieux », Cliniques méditerranéennes, 2011/1 (n° 83), p. 171-186. DOI : 10.3917/cm.083.0171. URL : https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2011-1-page-171.htm

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