Quand Michel Foucault repense la mission de l’école
Dans un entretien réalisé en 1975 par Jacques Chancel, Michel Foucault met en exergue le rôle assigné à l’école qui n’est autre que l’éveil du désir et du plaisir d’apprendre chez l’élève ou comme le désigne, psychanalytiquement, Foucault par le syntagme « une libido sciendi », qui va à l’encontre de la transmissibilité passive du « savoir sacro-sain ». Il souligne que la noble mission de l’école ne doit pas être réduite à l’enseignement mais à l’apprentissage, c’est-à-dire que l’enseignant doit mettre le focus sur l’apprenant, en tant qu’acteur, et non sur le contenu à enseigner. Dès lors, l’enseignant a pour fonction de ne pas enseigner ; en d’autres mots, il doit être « un minimum d’enseignant » au sens foucauldien qui accompagne l’apprenant tout au long du processus de formation. Cette pratique est préconisée par la pédagogie actuelle dans laquelle l’apprenant occupe le devant de la scène et l’enseignant est un mentor guidant les pratiques de classe.
Quant à la certification des savoirs, M. Foucault explique que le diplôme sert à constituer une valeur marchande de savoir et à distinguer ceux qui l’ont de ceux qui ne l’ont pas.
L’apport de Foucault à la conception pédagogique est à la fois fondateur et rénovateur du fait qu’il repense l’action enseignante à l’aune des attentes apprenantes : l’enseignant n’est pas un simple exécutant mais un enseignant chercheur qui explore, se documente, analyse, collabore et conjugue les savoirs et les connaissances en fonction des besoins qu’éprouve l’apprenant. Et ce dernier n’est pas un récepteur passif ou récipient à remplir mais un acteur actif participant à la co-construction des apprentissages.
Dans son ouvrage Surveiller et punir paru aux éditions Gallimard en 1975, il analyse le couple savoir-pouvoir qui est un opérateur critique des stratégies de rapports de pouvoir : le pouvoir disciplinaire à l’école et aux institutions sociales considéré comme capture du corps et de ses plaisirs ; pour ce philosophe, le pouvoir et le savoir vont de pair dans une « société punitive et coercitive » : « le savoir se confondait avec le pouvoir, qu’il n’était qu’un mince masque jeté sur les structures de domination, et que celles-ci étaient toujours oppression, enfermement. ». Cela dit, l’école fonctionne sous un système de panoptisme, de normalisation et de régulation du plaisir.
Dans ce contexte disciplinaire, l’élève se trouve toujours sous le regard du maître qui le surveille et lui impose une architecture pédagogique et un mode de pensée proscrivant sa créativité et captivant son activité ; Foucault le désigne par le terme panopticon, c’est-à-dire que tout écart à la règle implique une punition, voire une exclusion, de telle sorte qu’à travers cette standardisation se répand actuellement dans les écoles « le pouvoir de la Norme ». Cette vision bourdieusienne de la sacralité de la « Norme » déprave l’apprenant, ravit le plaisir d’apprendre et renforce le sentiment d’insécurité.
Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).