« Jamais allé au cinéma parce que je ne savais pas que cela existait » (Issam Mermoune, étudiant)
Dans cette interview, Issam Mermoune, Master 2 en lettre françaises, dit n’avoir jamais été dans une salle de cinéma parce que, sa vie durant, il n’en a jamais rencontré. Avec des mots gros d’émotion, il dit le désert culturel dans lequel il a vécu et dont il n’a pu sortir que grâce à Internet. « À Mila, j’avais une enseignante de littérature française, quand elle a su que nous ne connaissions pas ‘‘Salle de cinéma’’, elle a failli s’arracher les cheveux, » dit-il avec dépit.
Est-ce que vous fréquentez le cinéma ?
C’est d’un luxe que vous me parlez, Je ne sais même pas comment acheter un billet. Je me souviens quand j’étais petit, on habitait un quartier d’anciens colons à Mila, et il y avait à côté un musée où l’on conservait tout ce qui était en rapport à la Guerre de Libération et aux combattants algériens ; tant que l’agent était notre voisin, on louait les grosses cassettes de films de Jacky Chan à 20 dinars algériens la journée et l’agent nous faisait entrer discrètement dans le musée, il nous accrochait un tissus blanc sur le mur, et on regardait Jackie Chan, le seul genre de films que nous pouvions regarder sans honte.
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Est-ce que dans la famille les parents ou les grands-parents ont l’habitude d’aller au cinéma ?
Il faut savoir que je suis issu d’une famille connue dans la région de Mila pour sa participation dans la Guerre d’Algérie, ce qui fait de nous une famille plus ou moins conservatrice. Mes grands-parents sont illettrés, ma mère est illettrée, mon père a un niveau scolaire moyen. Outre cela, nous n’avons pas de salle de cinéma chez nous, la seule salle de cinéma appelée Cinéma Maghreb sert aujourd’hui de lieu de rassemblements aux partis politiques. C’est ce qui domine, avec un peu de sel religieux via les mosquées qui entourent toute la ville. Nous sommes le résultat de l’islamisme et de ses exploits, tout simplement.
Vous n’allez donc pas au cinéma parce qu’il n’y en a pas mais est-ce que vous en avez eu l’envie ou l’idée ?
Je ne connaissais pas le mot cinéma, encore moins le mot théâtre. Il n’y a pas de salles de cinéma chez nous. C’est au lycée que j’ai commencé réellement à chercher des films sur Internet, mais je n’entendais jamais « Salle de cinéma ». Mohammed Fellag le dit déjà : « Les mots disparaissent avec la disparition de la fonction. ». Je ne suis jamais allé au cinéma parce que je ne savais pas que cela existait.
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Quand vous étiez élève, au collège, au lycée, justement, on ne vous a pas appris à voir des films ? On ne vous a pas emmené au cinéma ?
Personne ne nous parlait de cela, excepté mon enseignant préféré d’histoire-géographie, que je salue aujourd’hui ; il nous écrivait des titres de films sur le tableau et nous disait : « Regardez ce film, et vous n’êtes pas obligés d’assister au cours de la Guerre Froide. » C’est le seul enseignant qui avait le culot d’ouvrir des parenthèses et nous conseiller des films ou des romans. Il pâlissait quand nous lui répondions avec un visage sans expression ; il se voyait très étrange.
Après votre licence, vous vous êtes inscrit à l’Université d’Alger. Est-ce qu’au niveau de la capitale vous avez eu la curiosité d’aller voir ce qu’est le grand écran ?
J’ai fait ma licence à Mila, je me suis inscrit en Master à l’Université d’Alger. Oui, mes camarades m’ont plusieurs fois invité au cinéma, mais à chaque fois que l’on décidait de le faire, des circonstances venaient troubler l’ordre : un examen, des occupations, le travail. Mais jusqu’à maintenant, j’aimerais bien y aller, parce que je ne connais même pas le concept. À l’heure où je vous réponds, j’ignore le sentiment d’être dans une salle de cinéma, je ne le connais pas. À Mila, j’avais une enseignante de littérature française ; quand elle a su que nous ne connaissions pas « Salle de cinéma », elle a failli s’arracher les cheveux.
À l’Université, vous n’aviez pas un ciné-club ?
À l’Université, je ne sais pas, puisque généralement, ce genre d’activités est dirigé par des associations estudiantines qui servent tous les intérêts, sauf ceux des étudiants.
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Ce que vous connaissez du cinéma, vous l’avez appris où et comment ?
J’ai commencé à chercher des films sur Internet pour une seule et unique raison : apprendre des langues. C’est ainsi que j’ai pu apprendre l’italien, le français et un peu d’anglais. Par la suite, quand j’ai commencé ma formation de licence en lettres françaises, mon enseignant de Culture et Civilisation m’a appris à savourer le goût du septième art ; mon cousin aussi qui est un grand cinéphile m’a encouragé dans ce sens. Aujourd’hui, ma copine et moi, on établit un programme de films et séries et on essaye de faire le tour du monde et découvrir ensemble le cinéma de chaque pays. On a commencé cela avec le début du confinement. Maintenant, nous avons une petite culture cinématographique.