Langues/cultures : aller à la connaissance de l’Autre est une reconnaissance de soi

De la langue-culture : la mutation de l’une est une métabolisation de l’autre

Enseigner une langue, c’est véhiculer une/des culture(s), car la langue n’est pas une nomenclature de lexies figées (idiome) ou une structure linguistique asseulée, mais une culture arlequinée, des significations zébrées et des culturèmes rayés Toute langue, par définition, charrie une culture cultivée tels les beaux arts, la littérature… et une culture ritualisée enlisée dans des pratiques anthropologiques formant l’image d’une mosaïque ou d’une pièce rapiécée. A cet effet, l’appropriation de la culture demeurerait inextricablement une problématique irrésolue, du fait que les manifestations culturelles sont mouvantes, changeantes, poly/amorphes, polysémiques et symboliques.

Une langue est une culture et une culture est une langue, car il est un corrélat emphatique, alternatif et significatif entre ces deux facettes d’une même pièce linguistico-culturelle au sens benvenistien, dont l’interprétation est emmaillotée dans « son havre culturel ».

La signification des choses et des mots est déterminée par les cultures et les modes de perception qui sont leur seul giron nourricier. Les mots ne sont pas innocents ou concaves, car ils ont des désignations singulières sujettes au contexte culturel auquel ils sont afférents.

-Vache sacrée, sa dérivation étymologique indienne « Gao Mata » signifie « Mère Vache », « Mère universelle » ou « Vache Mère » du fait qu’elle donne son lait à tous, telle qu’elle est décrite dans la littérature indoue. Donc, elle représente la sacralité de toutes les créatures. Cette désignation excède le premier sens, en tant que mammifère domestique de l’espèce Bos taurus, pour épouser une valeur culturelle et théologique.

-Cheikh : dans la culture maghrébine désigne un homme sage et de confiance. Quelqu’un qui aime se rendre utile et vers qui on n’hésite pas à se tourner pour obtenir des conseils.

-Medersa a une étymologie hébraïque Midrash (מדרש) signifie interroger ou examiner en profondeur ; en d’autres mots, elle focalise exclusivement son enseignement sur la dimension théologique et mystique.

Enseigner une « culture », c’est donc figer son dynamisme et désemplir son sémantisme qui se nourrit continûment de l’incessante pratique quotidienne ; c’est la raison pour laquelle que l’introduction du « culturel » dans les pratiques pédagogiques (classe) via des scénarios, des documents sonores, des vidéos, des saynètes simulées ou des textes littéraires, comme le préconise éminemment l’approche communicative, est souvent perçue comme vision simplificatrice, synchronique, calibrée et notamment réductrice des faits informels.

De l’interculturel : le « je » est un « autre »

Les cultures s’enchevêtrent, s’embrassent, s’interpénètrent et se nourrissent mutuellement pour survivre longuement. C’est pourquoi, l’existence de l’Autre, par un effet de miroir, nous fait prendre conscience de notre ipséité culturelle. Ce rapport altéritaire, étant développé sous l’impulsion de la sociologie interactionniste (Gumperz, Hymes, Goffman) et la pédagogie socio-constructiviste (Vygotski, Bruner),  nous meut vers « l’Autre » en tant que sève nourricière de « Soi » et affiche, par conséquent, une perspective béante sur la pluralité/diversité (Pluilinguité/pluriculturalité)

La culture s’apparente aussi aux faits extralinguistiques comme le langage para-verbal : gestes, sourires, haussement des épaules, hochement de tête, kinésie, proxémie, représentations temporelles (temps élastique, temps bref), expressions idiomatiques… ayant des significations multiples  qui sont afférentes à des cultures diversifiées.

Du trait d’union de langues-cultures à l’interdiscours de l’interlangue et de l’interculture

Le trait d’union est problématique ; le concept langues-cultures l’est aussi. Parler de langue-culture est un fait réducteur qui nous inscrit dans une optique structuro-générativiste de transmission/appropriation strictement linguistique et nous éloigne du concept opératoire de discours qui illustre l’historicité, la déterritorialité, la subjectivité et l’interactivité s’opérant dans ici et maintenant. Cette conception est amorcée par la philosophie de Humboldt qui définit les langues comme des individualités au sens où elles se conjuguent en fonction de l’intentionnalité et de la contextualité : « L’homme pense, sent et vit uniquement dans la langue. » [1]

En se référant au concept fonctionnel de discours, le locuteur peut « contextualiser » le sens, saisir les « représentations » générées et appréhender la « face »[2] des acteurs tout en s’exportant en dehors du cloisonnement et du trait gênant de langues-cultures pour s’insinuer dans l’entrelacs interlingual et interculturel et faire droit à une culture de décentration, de connaissance/reconnaissance, d’hospitalité, d’altérité et de vivre/agir ensemble ; cela lisse les enjeux sinueux et laisse bâtir transculturalité et translanguaging.

 

Youcef BACHA, doctorant et jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

 

 

[1] Humboldt Wilhelm, 2000 [1828], Sur le caractère national des langues et autres écrits sur le langage, Paris, Points Seuil, p. 157.

[2]  La face est ce que Goffman définit comme l’image qu’un sujet met en jeu dans une interaction donnée et qui tente de la valoriser à travers son acte.

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