« L’Islam dans les médias », une vision caricaturale et stéréotypée
En 1981, Edward Wadie Saïd, intellectuel palestino-américain, publiait en langue anglaise, Covering Islam : How the Media and the Experts Determine How We See the Rest of the World[1]. La publication de cet ouvrage qui traite de la représentation du monde musulman dans la couverture médiatique de la presse occidentale intervenait dans un contexte mondial bien particulier.
Plusieurs événements comme la Révolution iranienne, en 1970, la prise d’otages américains et la réémergence du nationalisme radical dans les sociétés musulmanes, ont contribué à qualifier le monde musulman de « région stratégique et sensible ». En Occident, la pénurie de ressources énergétiques et la hausse du prix du pétrole ont engendré des perturbations dans plusieurs pays.
Quel est le sens que le mot « Islam » prend sous la plume d’un certain nombre de journalistes, universitaires et « experts » de la question ? Comment la figure de la musulmane et du musulman est-elle représentée à travers les articles de journaux et les analyses sur l’Islam et le monde musulman ?
Des représentations « pétries d’approximations et d’ethnocentrisme »…
Selon E. W. Saïd, les médias couvrent l’Islam et le monde musulman de manière caricaturale et stéréotypée. Un certain nombre de journalistes posent sur cette religion un regard hostile, manichéen et réducteur si bien que leurs écrits sont « pétris d’approximations, d’ethnocentrisme, de haine culturelle, voire raciale et d’une hostilité injustifiée ». L’identification médiatique de l’Islam met en lumière l’existence d’un « savoir » qui véhicule une vision porteuse d’un « irrationalisme dangereux », de distorsions historiques et sociologiques, et d’analyses, très souvent, erronées et dénuées d’objectivité. Beaucoup de généralités révèlent un niveau de connaissances limité. Pourquoi ? Car la plupart de ces auteurs écrivent sur des sociétés dont ils ne connaissent ni les langues, ni l’histoire ni les réalités socio-économiques.
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Pour illustrer ses propos, l’auteur cite plusieurs exemples. Dans sa rubrique « Week in Review », le quotidien américain, le « New-York Times » a publié dans son édition du 5 mai 1984, un article intitulé « The Red Menace is Gone. But here’s Islam »[2] ; celui-ci représente l’Islam comme une menace et un danger pour les intérêts occidentaux.
Dans un article publié dans les colonnes du journal américain d’opinion libérale, « The New Republic »[3], Martin Peretz assimile « l’Arabe à un fou », en précisant que safolie est inhérente à sa culture. De son point de vue, c’est un être dénué de bon sens et de la capacité de faire la distinction entre le « réel et l’imaginaire ». De son point de vue, la violence est le seul moyen par lequel il exprime ses douleurs, sa souffrance et ses frustrations.
Dans son ouvrage intitulé The Return of Islam[4], l’orientaliste britannique, Bernard Lewis, imagine un scénario-catastrophe dans lequel il préconise un retour à l’islam du VIIème siècle. Pour étayer son analyse, il se base sur les problèmes d’ordre politique que connaît le monde arabe. Selon E.W. Saïd, cet auteur souligne l’existence d’un « danger musulman » et d’un sentiment de haine que les Musulmans vouent à l’Occident en raison de son appartenance au monde moderne. Par ses affirmations qui dénigrent l’Islam et les pratiques culturelles des sociétés musulmanes, il vise à influencer l’opinion publique. « Le travail de B. Lewis se caractérise par des remarques dénigrantes, par un maniement frauduleux de l’étymologie qui lui permet d’élaborer de grandes théories culturelles sur une multitude de peuples, » écrit E. W. Saïd.
Ces positionnements ayant tendance à verser dans le sensationnalisme sont également relayés par les partis politiques. Pour la droite, l’Islam incarne la barbarie. Pour la gauche, il est représentatif de la « théocratie moyenâgeuse ». Pour le centre, il est assimilé à une « sorte d’exotisme déplacé ».
L’Islam est systématiquement associé au fondamentalisme islamique
La représentation simpliste et caricaturée de l’Islam à des fins propagandistes est également relayée par les gouvernements et les médias israéliens. Pour ces derniers, Israël est « victime » de la violence des Musulmans. E. W. Saïd explique que le but de cette thèse est de masquer la réalité des agissements d’Israël en Palestine et à l’égard des Palestiniens : annexions de Jérusalem-Est, du plateau du Golan, au Liban Sud, et en Syrie.
Ces représentations déformées de l’Islam
et des Musulmans ont donné lieu à l’émergence de deux phénomènes. D’une part,
l’expression d’un sentiment de nostalgie hérité du temps de la colonisation qui
réactive des idées et des préjugés orientalistes.
Et d’autre part, la production d’un nouveau savoir sur l’Islam et les sociétés
musulmanes qui met en évidence l’association systématique de l’Islam avec le
fondamentalisme islamique.
De ce fait, la figure du musulman qui émane de ces visions revêt une dimension
essentiellement négative et péjorative puisqu’elle est principalement celle
d’un « agresseur », d’un « poseur de bombes », d’un « être violent, extrémiste, arriéré,
barbare, primitif… ».
Le monde musulman est hétéroclite…
La tendance à présenter le monde arabe comme une « entité monolithique […], à l’identité fixe et immuable », est l’un des aspects que E. W. Saïd souligne dans l’ouvrage. Or, cette idée d’immuabilité n’est pas justifiée selon l’auteur. Car le monde musulman est constitué d’une multitude de sociétés qui se caractérisent par une variété et une diversité de traditions, de cultures, de langues, de références historiques, d’expériences sociologiques et autres.
L’existence de « visions alternatives »
Bien que ces visions ayant tendance à dénigrer l’Islam et à réduire cette religion aux actions commises par les partisans d’un Islam radical soient dominantes, il n’en demeure pas moins qu’il existe des analyses « rationnelles et documentées » produites par des chercheurs et des journalistes. Ces « visions alternatives » sont cependant minoritaires, selon E. W. Saïd.
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Àtitre d’exemple,
l’auteur cite le politologue français, Olivier Roy qui, dans son ouvrage L’Échec
de l’Islam politique fait le constat de l’échec de l’Islam politique et
met l’accent sur la nécessité de faire une distinction entre Musulmans et
Islamistes.
Dans son ouvrage Islam perceptions of US policy in
the Near East[5], Yvonne
Yazbeck Haddal répertorie cinq types d’islamismes. Elle emploie le terme
« fondamentalistes » ou « radicaux » pour faire la distinction
entre les Musulmans et les islamistes, et met en évidence les discours, les
faits et les actes qui ont joué un rôle déterminant dans l’intensification
des conflits entre le monde islamique et l’Occident.
En guise de conclusion, il semble important
de souligner que L’Islam dans les médias n’est pas un plaidoyer de
l’Islam. À travers cet ouvrage, E. W. Saïd ne cherche pas
à défendre cette religion encore moins à la justifier. L’ambition de
cet ouvrage politique est de proposer une vison alternative et une analyse
critique de l’usage subjectif et abusif de la notion d’Islam en Occident. La
critique saïdienne concerne également les sociétés musulmanes. Celles-ci
se caractérisent, généralement, par une absence de démocratie et de liberté.
Elles ont également tendance à se servir de la religion pour justifier
et légitimer leur régime dictatorial.
E. W. Said ne se limite cependant pas à livrer une analyse critique. Il
préconise le recours à des méthodes de recherche scientifiques élaborées
afin de produire un « véritable » savoir sur l’islam.
Lire cet ouvrage est une nécessité afin de se forger une idée exhaustive et objective des clichés et des idées caricaturées et réductrices qui circulent dans les médias américains et les analyses de celles et de ceux qui se prétendent experts en la matière. Lire cet ouvrage est une urgence. Car il tente de rétablir la vérité permettant de prendre du recul avec les thèses dominantes relatives à l’Islam dont la fonction est de produire un savoir dénué de rationalité et de vérité historique. Cet ouvrage s’inscrit dans une perspective humaniste. Il vise à éveiller les esprits, à inciter à la réflexion, à prendre de la distance avec le sens commun et les visions dominantes afin de se forger sa propre opinion. Cet ouvrage a pour finalité de transformer les mentalités et les consciences et de favoriser l’esprit critique et la liberté d’opinion et de jugement.
Edward Wadie Saïd est né à Jérusalem en 1935. Il est chrétien. Il vécut à
Beyrouth, au Caire, puis il s’exila aux États Unis. Il décéda à New York, en
2003. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont L’Orientalisme. L’Orient créé par
l’Occident, La Question de
Palestine, Des Intellectuels et du pouvoir », Culture et impérialisme, Du style tardif, etc.
[1] Titre original : « Covering Islam: How the Media and the Experts Determine How WeSee the Rest of the World », New York, NY : Vintage Books, 1977. Version française : Edward W. Saïd, « L’Islam dans les médias », traduit de l’anglais (américain) par Charlotte Woillez, Sindbad/ Actes Sud, septembre 2011, 282 pages.
[2] New York Times, le 21/01/1996, « La menace rouge n’est plus. Place à l’Islam ».
[3] 07 mai 1984.
[4] Le retour de l’Islam, éditions Gallimard, Paris, 1985, 426 pages.
[5] « La perception islamiste de la politique américaine au Proche-Orient ».