Le fou-de-ball
Le football est un jeu. Cette tautologie est intéressante pour commencer parce que rares sont ceux qui s’en souviennent. Le football n’est pas une science, c’est un sport. On entend souvent répéter que Messi ou Maradona sont des génies. Mais il faut préciser ce qu’on entend par ce mot. Sont-ils des génies comme Einstein et Dostoïevski ? On dit de l’entraîneur Guardiola qu’il est un philosophe. Mais est-ce un philosophe comme Voltaire et Spinoza ?
Il faut que ces mots, génie et philosophe, gardent un sens, sinon tout serait perdu. Certes Messi est un génie dans le sens où il maîtrise naturellement son jeu. Mais dans cette époque où nous manquons de modèles et d’exemples à suivre, cela me dérange qu’on dise génie pour un footballeur, jamais pour un Patrick Modiano par exemple. Quant au mot « philosophe », c’est une énorme aberration de l’attribuer à un entraîneur de foot. La philosophie souffre déjà d’une mauvaise réputation et de beaucoup de malentendus. Je ne voudrais pas que mon fils range dans la même catégorie Ancelotti-Guardiola et Camus-Sartre.
Le football, répétons-le, n’est pas une science, encore moins une science exacte. Quand je dis à un ami que l’équipe de Real Madrid a eu beaucoup de chance à marquer dans la dernière minute alors qu’elle n’avait pas bien joué, il me sort cette sottise : « c’est une science, les gens ont tout calculé. » C’est justement ce qui me répugne dans ce domaine. Les studios « d’analyse » des matchs font croire en effet que tout est calculé, que rien n’échappe à la cervelle des entraîneurs et celle des grands joueurs. On vous montre des situations assez banales pour en dire des analyses faussement profondissimes. Un tel joueur regarde son co-équipier avant de recevoir le ballon, ensuite le reçoit et fait une passe décisive. Rien de magique, rien de plus banal. C’est ce que font tous les jeunes qui jouent dans les rues. Mais puisque c’est un studio, on en fait des histoires et on fait du joueur en question un artiste à l’imagination débridée. Et puis, tout ce charabia est adopté par les jeunes et les moins jeunes !
« Si l’équipe espagnole avait tout calculé, pourquoi n’avait-elle pas fait un calcul de sorte qu’elle gagne dans le temps réglementaire pour épargner les prolongations ? » demandais-je à mon ami. Arrêtons ces propos d’abrutis ! Le football est d’abord un jeu où la chance et les petits détails qui vont avec prennent une grande part. Chance ne veut pas dire qu’il n’y a aucune maîtrise ou savoir faire dans ce sport. Il y’en a dans tous les sports et tous les métiers. Il existe des tailleurs intelligents, habiles et créatifs comme il existe des joueurs perspicaces et forts. Ce que je n’accepterai jamais, c’est de concevoir le foot comme une science exacte où la conjugaison de l’intelligence de l’entraîneur et l’habileté des joueurs aboutit à des résultats sûrs. Même la science ne prétend pas à une telle exactitude.
Mais pourquoi ces studios « d’analyse » des matchs (avec ses Freud footballistiques – lisez « fraudes ») essayent de nous faire croire que tout est étudié d’avance. La réponse me semble claire. C’est pour des raisons purement commerciales. On ne séduira pas les gens en leur disant qu’ils sont en train de regarder 22 hommes courir et se précipiter à mettre un ballon entre deux poteaux pour gagner de l’argent. Il a fallu justifier l’attitude de regarder le foot et flatter le spectateur en lui prouvant qu’il suit un travail de génie, une œuvre de grandeur et d’intelligence.