« La restitution des crânes des résistants algériens est une victoire de la société civile » (Hosni Kitouni, historien)
Les restes mortuaires de dizaines d’Algériens qui ont résisté à la colonisation française au XIXème siècle ont été retrouvés au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, par le chercheur en histoire Ali Farid Belkadi qui a rendu publique sa découverte dans son livre sur Boubaghla, publié en 2011. Depuis, deux pétitions, initiées respectivement par Ali Farid Belkadi et Brahim Senouci, ont mobilisé la société civile algérienne pour demander la restitution de ces restes mortuaires de. Hosni Kitouni, chercheur en histoire et auteurs de plusieurs livres dont Le Désordre colonial, salue cette belle victoire de la société civile algérienne et rappelle que « du côté officiel et durant plusieurs années, c’était le silence total […] On avait l’impression que le Ministère des Anciens Moudjahidines ne voulait rien entendre ». « Le ministère des Moudjahidine, malgré les centaines de milliards qu’il dépense chaque année pour on ne sait quelles causes, a été incapable de se hisser au niveau des exigences morales et politiques posées par cette affaire. C’est une honte et nous devons le dénoncer de manière forte. C’est une victoire de l’opinion publique algérienne. Cela montre que quand on se mobilise pour une cause, tôt ou tard, on parvient à des résultats. Le Hirak a, dans cette affaire, joué un rôle considérable puisque sa profession a continué a agir en arrière fond sur la conduite des autorités, » insiste-t-il.
Par ailleurs, compte tenu de la valeur symbolique importante que recèlent les crânes des résistants algériens à la colonisation aux yeux des Algériens et la place de choix que « ces résistances » occupent dans l’imaginaire algérien, Hosni Kitouni considère que la France officielle s’est comportée d’une façon scandaleuse avec l’Algérie d’autant que, souligne-t-il, la demande de recouvrement des restes mortuaires étaient publiquement exprimée par des centaines de milliers d’Algériens pendant des années. « Ces restes mortuaires de victimes algériennes de la colonisation déposés dans les caves d’un Musée français et qui avaient été sans doute exposés au public auparavant, est un pur scandale moral et politique. Comment la France qui proclame haut et fort ses principes d’universalisme républicain et sa foi en les droits de l’homme peut-elle supporter moralement l’existence de ces restes humains dans ses Musées ? Dès lors que la chose a été rendue publique, la France aurait dû immédiatement faire un geste à l’égard des Algériens en leur restituant les restes, comme l’opinion publique le demandait. Or, elle n’en fit rien et cela pendant des années, » assure-t-il.
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En effet, pendant des années, on disait du côté français qu’il fallait une loi, pour autoriser cette restitution, ce qui était en contradiction totale avec les déclarations du directeur des collections au MNHN de Paris, Philipe Mennecier, qui, selon Hosni Kitouni, considérait que « rien n’empêcherait le rapatriement de ces restes mortuaires » et qu’il « suffit que la partie algérienne en formule la demande », ces crânes étant « à l’origine des donations qui font partie du patrimoine national » et que « seul un accord entre l’Etat algérien et l’État français pourrait faciliter la démarche de rapatriement ». « Le 6 décembre, 2017, avant sa visite en Algérie et dans une déclaration à la presse, E. Macron admet être ‘‘prêt’’ à restituer les crânes de résistants algériens tués dans les années 1850 qui sont conservés au Musée de l’Homme à Paris […] Un mois après la visite du président français en Algérie, les choses s’accélèrent. L’Algérie charge son ambassadeur à Paris, Abdelkader Mesdoua, d’effectuer une démarche auprès des autorités françaises en vue de cette restitution, » rappelle M. Kitouni. Mais, trois ans durant, rien na été fait et ce n’est qu’en 2020 que la décision de restituer ces crânes est prise sans qu’une quelconque loi allant dans ce sens ne soit promulguée par les instances législatives française, ce qui laisse entendre que cette décision est strictement politique. « On ne sait pas ce qui s’est passé dans les coulisses mais la décision est strictement politique. Au prix de quels marchandages cela a-t-il été fait. Nul ne le sait pour le moment, » relève M. Kitouni qui s’explique cet acte par la conjoncture politique mondiale et les enjeux électoraux prévalant en France. « Du côté Français, deux raisons au moins semblent avoir déterminé E. Macron a accélérer les choses et en finir avec ce dossier. D’une part les circonstances nées de l’assassinat aux USA de George Floyd et la campagne mondiale contre le racisme et le colonialisme qui en a été la suite. On se rappelle qu’en France, des voix se sont élevées pour réclamer le déboulonnement de la statue de Colbert et la débaptisation de la rue Bugeaud. Les crimes coloniaux de la France sont revenus au centre du débat public. Au même moment, le roi des Belges Philippe a adressé une lettre au président de RDC, dans laquelle il demande pardon au nom de son pays pour les « actes de violence et de cruauté » commis pendant la période coloniale. Toutes ces pressions expliquent en partie le geste de Macron, comme le souci sans doute, moins apparent, de faire un geste à l’égard de l’électorat d’origine algérienne, devenu un enjeu de la vie politique française. Enfin, on ne peut aussi manquer de souligner, que par ce geste, Macron a voulu apporter au président algérien un soutien indirect, dans l’effort de ce dernier de conforter sa légitimité auprès de l’opinion algérienne, » nous explique-t-il.