Le droit au désarroi
Dans les bras râpeux du désenchantement. Et sous les aisselles humides du désappointement. Dans les mailles enchevêtrées des désillusions et les rets embrouillés des forclusions. Nous nous posons des questions. De plus en plus haut et de plus en plus fort. Sans espérer la moindre réponse. Ni même l’ombre d’un bourdonnement. Nous n’attendons plus rien. D’une engeance sans foi ni loi. Car nos attentes sont, à présent, éreintées. Exténuées. Ébahies par l’ampleur du gâchis. Dans ses plus intimes coutures et dans la moindre de ses plissures. Depuis notre conviction que rien n’a été épargné à ce pays blessé. Y compris dans ses moments de grande affliction. Dans ses instants d’embrouillement et de sombres vacillements. Un pays écorché vif par cette engeance mortifiante. Une horde destructrice. Une meute dévastatrice. Qui lui a lacéré furieusement la peau. Durant plus d’un demi-siècle. Avec des cultures farouchement assiégées. Des créativités violemment ligotées. Des arts réduits en poussière et un imaginaire fermement reclus. Des salles de cinéma, des scènes de théâtre, des pistes de danse, des conservatoires, et autres fabriques de beauté et de ravissement, solidement claquemurés. Ou livrés pieds et poings liés à de ténébreux boutiquiers. Des librairies transformées en crasseux bouffoirs, et des espaces d’inventivité en funestes éteignoirs. Les rares lieux d’imaginativité, ayant osé pointer du nez, se déclinent, aujourd’hui, en insondables gourbis. Et de fil en aiguille, la vacuité nous a insidieusement remplis. Pour nous livrer subrepticement aux griffes acérées de la lassitude. Et de l’amertume partagée. De la rancœur que l’Algérie entière vit douloureusement dans sa chair. Notamment en ces temps de tragiques questionnements. Mais sans se laisser dissoudre dans les méandres bourbeux du renoncement. Ni sombrer dans les replis obscurs de l’affolement. Une Algérie qui a appris à apprivoiser ses peurs. À pactiser avec ses frayeurs. À revendiquer son droit à l’inquiétude. Et à exhiber son butin d’incertitudes. Comme une amulette scintillante. Comme une lueur inextinguible qui danse frénétiquement sur le parvis rugueux de l’exigence. Tel un feu follet narguant les fossoyeurs de la clarté des consciences. Ces croque-morts de la liberté de l’esprit. Cet esprit indompté qui réconcilie invariablement toute une société avec ses craintes les plus insensées. Transformant ses appréhensions les plus embarrassées en complicités étroitement entrelacées. Cultivant les vertus de l’intériorité comme une bravade. Et les distorsions du doute comme une cavalcade. Une Algérie qui a appris à se familiariser avec son effroi. À apprivoiser son désarroi. Et à le brandir comme une bannière sertie de ses songes éveillés. Haut drapeau claquant dans le ciel éthéré. Comme une salve de promesses émerveillées.