Denis Gonzales ou la noblesse du travail social
Avec la disparition du Père Gonzales, c’est une icône de la société civile algérienne qui s’éteint après plusieurs années de travail acharné, chaque jour, dans son modeste bureau, avec pour unique ambition de faire reculer les précarités qui humilient les plus pauvres d’entre nous, combattre les stigmatisations qui condamnent les plus innocents ou encore ouvrir toutes grandes les portes que de malveillants bureaucrates s’amusaient à refermer parce que la détermination de cet Algérien, mais homme d’église, déboussolait les uns et interpellait les autres.
Cet homme remarquable que rien ne prédestinait à diriger l’une des associations caritatives les plus actives du pays, s’est en fait révélé être un logisticien hors pair, un organisateur rigoureux et exigeant, aussi efficace sur un sinistre à grande échelle que dans l’écoute d’une famille de Bab el Oued dont le toit vient de s’effondrer.
Le Père Gonzales était de ces rescapés de la diversité que l’Algérie n’a pas su conserver, comme, par tradition ou mimétisme, les sociétés antiques conservaient jalousement leurs trésors. Ce travailleur social infatigable était devenu, au fil des ans, une image positive, un modèle vivant pour les nombreux jeunes algériens (et jeunes algériennes) qui le secondaient ou venaient bénévolement lui accorder leur soutien.
Il s’est battu, autant que ses forces le lui permettaient, pour faire admettre l’idée toute simple qu’une nation repose, certes sur un État et des institutions solides, mais dépend essentiellement de la liberté dont peut bénéficier sa société civile, de la confiance accordée à ses associations, ces espèces de mini-parlements où les citoyens se familiarisent peu à peu avec la vie démocratique et où se renouvelle le terreau des leaders, des innovateurs, des porteurs d’alerte, des prospecteurs etc.
Il s’est aussi battu pour que les associations de son pays atteignent le grade de la maturité professionnelle, qu’elles deviennent des lieux d’expertise et d’exemplarité éthique, capables de discuter d’égal à égal avec un Wali ou un Chef de Daïra à propos des conséquences positives ou néfastes de tel ou tel projet.
Pour atteindre ce niveau, il aurait fallu que les grandes associations nationales puissent librement rencontrer leurs homologues étrangères, y envoyer des observateurs ou des stagiaires, engager des actions cofinancées par des organismes internationaux, des agences des Nations Unies ou encore par l’Union Européenne, apprendre concrètement ce que signifie la gestion et le développement de la société civile. Le Père Gonzales a amplement prouvé à son niveau que les associations pouvaient devenir des bassins d’emploi attractifs pour nos jeunes diplômés mais il observait avec un certain dépit que les associations marocaines ou tunisiennes arrivaient à financer plus facilement leurs projets en recourant aux budgets des agences de l’O.N.U. alors que la contribution financière de leurs pays à l’Unesco, au Pnud ou au Pnue étaient incomparables à celles de l’Algérie.
Cet homme exceptionnel que les chancelleries écoutaient ou observaient était à lui seul l’exemple réel du dialogue permanent entre les religions, l’image parfaite de l’Algérien utile aux siens, aussi prompt à relever les défis de la pauvreté que ceux de l’intelligence, car sinon comment désigner le Centre des Glycines autrement qu’un espace d’intellectualité agissante, offrant aux Algérois la chance inouïe de rencontrer des penseurs d’aujourd’hui autour de ce qui nous préoccupera le plus demain, à savoir nos identités, nos langues, notre histoire, nos villes et même notre humour. Comme disent les informaticiens, un disque dur est mort.
Notre mission est simple : conserver tous ses fichiers, les dupliquer, les diffuser et les défendre afin de rendre le meilleur des hommages à celui qui rejoint, serein et accompli, le cortège des autres justes qu’étaient Leon Etienne Duval, Paul Decisier, Pierre Claverie et Henri Sanson pour ne citer que ceux-là.