Arabismes en Espagne…
Souvent, on ne comprend pas ou on fait semblant de ne pas comprendre ce qu’a signifié la présence de la civilisation arabo-berbère, musulmane, en Espagne.
L’apparition de l’Islam a représenté une transformation radicale et absolue, et fondamentalement inaltérable et immarcescible, aussi bien pour le passé de l’Espagne que pour son futur : huit siècles de coexistence entre l’Islam et la chrétienté ne doivent pas être vus seulement comme des années de lutte et de reconquête dont le seul but a été de chasser les Arabes de la péninsule ibérique.
Il ne sert donc à rien d’aller à l’encontre de ce qui fait l’identité espagnole : l’Espagne sans les Arabes reste inconcevable et inimaginable.
L’histoire, c’est pouvoir cohabiter; ce n’est pas seulement les guerres, c’est aussi, et surtout, pouvoir vivre en paix.
L’histoire, c’est ouvertement la vie…
Et la vie présuppose clairement la coexistence, la concorde, l’harmonie entre les peuples, les ethnies et les frontières.
L’un des éléments fondamentaux entre l’Islam d’al Andalus et les chrétiens d’Espagne est bien la langue. L’espagnol castillan a emprunté à l’arabe (Louis-Jean Calvet définit par ce bon mot, l‘emprunt : « Curieuse forme d’échange qui n’a d’emprunt que le nom puisqu’il ne saurait jamais être question de restitution») tout ce qui lui était nécessaire pour formuler des idées, des notions, des représentations ignorées et inconnues dans plusieurs champs de l’administration, des institutions et ceux en relation avec la vie de tous les jours.
Tous les termes de l’organisation civile et militaire (alferez, jinete, atalaya, zaga,…); la terminologie de la construction (albañil, tapia, adobe, …) ; dans les charges de l’État, les impôts, (alcabala, garrama, gabeta ou albaquia, alcalde, zalmedina, zabazorza, almotacén, alfaqueque…) ; dans tous les termes de la vie quotidienne.
Comment sillonner l’Espagne sans trébucher sur notre langue à tous les coins de rue ?
Comment discuter des procédés agricoles, arpenter les champs, estimer le poids des agrumes, calculer et même arroser un pâturage ou ferrer un poisson sans tomber sur la langue arabe ?
Les termes des fleurs et des fruits, les noms de couleurs, les dénominations des vêtements, des tissus, invoquer les souliers, coiffures, tapisseries, bijoux, assiettes et plateaux, cristal et de tous les équipements de la maison, son architecture et son décor: l’Espagne n’a-t-elle pas hérité de tout cela de l’Islam andalou?
Quelques définitions : Un arabisme est un terme qui procède de l’arabe et est incorporé à une autre langue. Quelques arabismes sont à l’origine d’une autre langue, comme le perse et passèrent à l’arabe.
Il y a près de 4000 arabismes en espagnol, certains très peu utilisés mais d’autres à l’usage assez fréquent. J’ai déjà expliqué qu’un grand nombre de ces « emprunts » s’explique par la nécessité de nommer des objets et des concepts nouveaux que les musulmans ont introduit à la conquête de la péninsule ibérique durant de nombreux siècles et du fait du prestige d’une culture qui représentait un progrès et une identité bien différenciées.
Classification morphologique:
Arabismes qui adoptent l’article original « al »:
De nombreux arabismes espagnols se reconnaissent facilement à leur préfixe « al », du fait d’être assimilés à partir de la forme arabe avec son déterminant original /al/. Lorsqu’il s’agit d’une consonne de type solaire (chamsiyya), le /l/ est souvent omis, et l’arabisme commence par /a/ au lieu de /al/.
Quelques exemples :
Aceituna, de l’arabe hispanique /azzaytun/; qui procède de l’arabe classique /zaytun/, et celui-ci de l’araméen /zaytuun/, un diminutif de /zayta/.
Adalid, de l’arabe hispanique /addalil/ ; qui procède de l’arabe classique /dalil/.
Adive (chacal), de l’arabe hispanique /addib/ ; qui procède de l’arabe classique /dib/.
Ajedrez, de l’arabe hispanique /assatrang/ o /assitrang/ ; qui procède de l’arabe classique /sitrang/, celui-ci du pelvi /catrang/ provenant sûrement du sanscrit /caturanga/ ; de quatre membres.
Albañil, de l’arabe hispanique /albanni/ ; qui procède de l’arabe classique /banna/.
Albufera, de l’arabe hispanique /albuhayra/ ; qui procède l’arabe classique /buhayrah/, diminutif de /bahr/, (mar).
Alcazar, de l’arabe hispanique /alqasr/ ; qui procède de l’arabe classique /qasr/, « château » ou «forteresse », et issu du latin /castra/, « campement ».
Alcalde, de l’arabe hispanique /alqadi/ ; qui procède de l’arabe classique /qadi/,« juge».
Alguacil, de l’arabe hispanique /alwazir/ ; qui procède de l’arabe classique /wazir/.
Almazara, de l’arabe hispanique /alma’sara/ ; qui procède de l’arabe classique /ma’sara/.
Arroba, de l’arabe hispanique /arrub/ ; qui procède de l’arabe classique /rub’/, «quatrième partie».
Guadalajara, de l’arabe hispanique /wad alhayara/ ; «vallée des châteaux», « vallée des forteresses », « fleuve de pierres ».
Guadalquivir, de l’arabe hispanique /wad al kabir/, « río grande ».
Arabismes sans traits identificatifs particuliers:
De nombreux termes sont d’origine arabe sans traits apparents d’une racine arabe :
Quelques exemples :
Asesino, de l’arabe classique /hassasin/ ; « fumeur de chanvre indien ».
Pour ce terme, je vous renvoie à l’étymologie qui tient son origine dans la secte des Hachachin de Hassan al Sabah (une armée de soldats drogués qui commettaient des assassinats…).
Baladi, , (sans importance, futile) ; de l’arabe /baladiy/ ; « originaire du pays » . Dans certaines régions, a pris le sens de « fruste », « qui ne connaît rien ».
Cadira, (petite marmite) ; de l’arabe /qudayra/, prononcé en Algérie /qdira/, diminutif de /qadra/.
Fulano, de l’arabe /fulān/ ; « un tel». le féminin /fulana/ désigne parfois une femme aux moeurs légères /es una fulana/, « c’est une prostituée ».
L’expression espagnole /fulano y mengano/, «fulan wa man kan » désigne une liste de personnes anonymes…
Hasta, de l’arabe /hatta/ ; «jusqu’à».
Jabalí, de l’arabe /yabaliyy/ ; « de la montagne », désigne en espagnol le sanglier : de /janzīr yabaliyy/ ; lit. « cochon de la montagne ».
Jaqueca, de l’arabe /šaqiqa/, «migraine ».
Ojalá, de l’arabe hispanique /in sha Allah/ ; « si Allah le veut ».
Rambla, de l’arabe /raml/ (sable) ; désigne en espagnol l’avenue.(la rambla de Barcelona).
Zanahoria, de l’arabe hispanique /safunnarya/ ; qui procéderait du grec, « carotte sauvage » ;
Zaragüelles, m,pl. : culotte ; de /sarawil/, « pantalons » .
Rappelons enfin, comme l’écrit Boualem Benhamouda, dans son ouvrage L’origine exacte de certains mots espagnols, que l’arabisme fait « sentir davantage ces liens humains et culturels, qui, à un moment de l’histoire de l’humanité, ont marqué les relations entre les peuples arabe et espagnol et ont laissé des traces diverses, profondes et indélébiles dont sont fières les deux communautés humaines ».