Algérie, terre d’asile de tous les complots

Tout est complot. L’absence solide de liquide. Les ruptures continues de tout. La hausse des doutes. La baisse de l’espérance. La monnaie de singe. La langue au chat. Le rassemblement illégal des nuages noirs. La disparition prolongée des papillons rouges. La grève illimitée des fourmis vertes. Le départ définitif des albatros clairs et inspirés. Et le retour massif des coyotes sombres aux crocs acérés. La conspiration est à chaque coin de rue. Tapie dans la clarté de tout ce qui n’existe pas. Prête à faire des croche-pieds impromptus au pays. Des croche-jambes incongrus à toute la nation. Des croche-cuisses au peuple désabusé. Et des croche-mains à l’État désincarné. Surtout des croche-mains lointains. Car beaucoup de mains crochues vivent planquées dans différents ailleurs. Mais ces ignobles mains inconnues viennent trop souvent se dégourdir les jambes en Algérie. Leur terre de prédilection. La terre promise de tous les complots inassouvis. Alors elles touchent à tout, ces mains malintentionnées. Elles fourrent leur nez fouineur partout. Elles se dissimulent méticuleusement derrière tous les rideaux de fumée. Prêtes à bondir. Prêtes à allumer le feu de la discorde. Et à étaler publiquement le linge crasseux de toutes les incompétences et de toutes les inconséquences. Prêtes à mettre à nu tous les simulacres d’institutions. Et à étaler la médiocrité insondable de toutes les administrations. Elles n’épargnent rien ni personne, ces sacrées mains baladeuses. Triturant vicieusement le corps grelottant d’un pays décharné. Ces mains malicieuses. Ces mains baveuses. Ces mains comploteuses. Ces mains semeuses d’outrages et de sacrilèges. Partout où elles mettent le pied. Mais elles ont bon dos ces mains du complot. Un mot bien commode, ce satané complot. Un bouc émissaire mal luné. Malmené. Taillable et corvéable sans merci. Et surtout employable à moindre frais. Il suffit de le brandir brutalement par les cheveux crépus. Et le jeter à la figure blême de toutes les déconvenues, de tous les déboires, de toutes les dérives, de tous les échecs et de toutes les débâcles. Comme un tamis troué, flanqué à la face ébahie d’un soleil dépité. Un soleil désenchanté. Seulement le mot complot a une histoire. Comme tous les mots. Et comme beaucoup de mots le complot a même fait des petits. Il a enfanté le complotisme et le conspirationnisme. A la carrière luxuriante mais véhémentement controversée. Érigés ensuite en théorie du complot. Une théorie qui fait florès. Qui fait, surtout, fonds de commerce. Cette théorie du complot est définie pour la première fois en 1945 par Karl Popper, l’auteur de la société ouverte et ses ennemis, comme une hypothèse excessive selon laquelle un événement politique est causé par l’action concertée et clandestine d’un groupe d’individus malveillants. Ces derniers étant persuadés que leur intérêt est que cet événement se produise par leur fait et non par le déterminisme ou par un quelconque aléa. De son côté Peter Knight, considère le complot comme l’initiative d’un petit groupe de gens puissants, qui se concerte en catimini pour décider et programmer une action illégale. Une action néfaste pour influer sur le cours des événements, nous dit-il. L’objectif étant, selon l’auteur, de détenir ou de conserver une forme de pouvoir politique, économique, religieux ou autre. La démarche de la théorie du complot vise, donc, à attribuer une même cause à des faits divers, multiples ou répétitifs. Le recours permanent à cette démarche fait de ses usagers des abonnés de la vacuité de la pensée. Le renoncement chronique à tout effort de fournir la moindre explication à la moindre situation. Et encore moins à la servir, avec franchise, aux souffre-douleurs qui subissent les angoisses de toutes les mortifications. De toutes les privations et de toutes les humiliations. Dans toute leur dureté et leur amère âpreté. Alors on leur sert immanquablement et effrontément le spectre du complot. Pour tout expliquer. Pour tout esquiver. Pour tout dissimuler. Et surtout pour alterner, sans vergogne, entre durer indéterminément par la tricherie, gérer piètrement par la tromperie et gouverner piteusement par la paresse de l’esprit.

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