De la grande épopée de la musique andalouse
Le 02 janvier 1492, s’offre à nous le décor majestueux du palais de l’Alhambra. Le roi Bouabdil, dernier souverain de Grenade, pleure la fin de près de huit siècles de présence arabe en Andalousie, un douloureux point final au règne de la dernière dynastie arabe en Péninsule ibérique. Si ce panorama donnait le signal de l’exode des musulmans et des juifs vers des rives hospitalières, s’il faisait taire la chanson éternelle qu’un grand peuple avait su savamment et amoureusement composée durant des siècles, il léguait cependant, à tout le Maghreb, l’héritage le plus précieux, et miraculeusement préservé, une musique née du mariage merveilleux du classicisme antique et de la sensibilité orientale, de la pensée hellénique et de l’imagination arabe. Le miracle, qui se perpétue de nos jours, est dans l’éclatante survivance de cette musique dont tous les maghrébins ont fait leur musique classique.
Des cités privilégiées, promues providentiellement au rang de véritables conservatoires, ont reçu pour mission de veiller sur ce patrimoine artistique, à la seule mémoire des hommes, sans le secours d’aucun signe, ni d’aucune écriture particulière hormis les textes littéraires des innombrables poèmes chantés. Fes et Tlemcen, d’abord, furent les deux premières cités à recueillir, dès la fin du 13ème siècle, après la chute de Cordoue, le premier don qu’elles partagèrent avec leur satellites : Tétouan, Nedroma, Mostaganem. Puis Rabat, Oujda, Alger, Bejaïa, Constantine et enfin Tunis et Tripoli.
La musique dite arabo-andalouse est donc venue originellement de la Péninsule ibérique et régénérée par l’islam naissant. Elle s’inspire tant du patrimoine proprement sémitique que de nombreux pays islamisés le long des côtes orientales et africaines, pour finalement venir se fixer en Espagne musulmane où elle va s’épanouir, grâce à une symbiose enrichie par l’apport chrétien, juif, afro-berbère avec comme base la tradition musicale arabe transmise au 9ème siècle de Baghdad, alors capitale des Abbassides, à Cordoue et Grenade.
Le génie qui va être le précurseur de cette métamorphose est un certain Abou Hassan Ali Ibn Nafiq, mondialement connu sous le nom de Ziryab (merle noir, en arabe).
Novateur et visionnaire, passionné et passionnant, Ziryab, dont on ne sait pas s’il était Kurde ou Persan, va marquer de son empreinte l’histoire de la musique arabe. Jalousé et menacé de mort par son propre maître, Ishaq el-Mawsili, il quitte Baghdad des Abbassides pour se réfugier en terre rivale de l’Andalousie omeyade où, précédé par sa réputation, il est reçu par Abderrahmane II, l’ami des poètes et des artistes. Dans cette Andalousie où la tolérance était de mise, où le culte du plaisir avait atteint un raffinement inouï, où les esprits savaient concilier la pratique du religieux avec les charmes de l’existence terrestre, comme le résume joliment le poète Ibn Quzman : « Ils accordent le luth et remplissent le verre. »
Dans cet environnement propice à l’échange et à l’épanouissement, Ziryab va transformer radicalement la tradition classique arabe, trop repliée sur elle-même. Il révise l’ordonnancement de la « Nouba » et introduit de nouvelles règles donnant la primauté à la mélodie, allant jusqu’à inventer un nouveau luth, avec l’ajout d’une cinquième corde, celle qu’il appela la corde de l’âme. Pendant longtemps, l’Andalousie sera le centre névralgique d’un bouillonnement culturel méditerranéen, où juifs, chrétiens et musulmans vivront dans une tolérance exemplaire. Cordoue, mais aussi Séville, Tolède, Valence et Grenade faisaient partie de ces foyers artistiques et intellectuels actifs et très recherchés. La majorité des juifs et des musulmans, en 1492, furent chassés de la Péninsule ibérique.
Beaucoup d’entre eux s’établirent au Maghreb, autour des villes les plus importantes comme Rabat, Fes, Tétouan, Alger, Constantine, Tlemcen, Tunis et Tripoli. Toutes ces cités prestigieuses auront à cœur, jusqu’à nos jours, de conserver pieusement le souvenir de l’Andalousie chantante, enrichi d’apports locaux, et de préserver le legs de Ziryab…
Merci pour cet article.
Je me renseignais sur Amina Allaoui et, juste avant elle, à la cinéaste Simone Biton, qui est une juive marocaine née à Rabat en 1955. Dans son film » Ziyara » elle montre son pélerinage au Maroc, sur les traces des saints et de personnes illustres (qu’elles soient juives ou musulmanes) dans des cimetières principalement (mais elle précise que les lieux de culte et/ou de receuillement peuvent aussi étre un arbre, ou un bord de rivière).
» Il fut un temps, pas si lointain, où régnait une certaine fraternité entre Juifs et Arabes, au Maroc. Juive marocaine, née en 1955 à Rabat, la documentariste Simone Bitton en fut témoin dans son enfance, avant qu’elle n’émigre avec sa famille en Israël, en 1966, à l’âge de 11 ans. Les juifs représentaient une communauté de plus de 250 000 âmes au Maroc, dans les années 1950. Aujourd’hui, il ne resterait plus que quelques centaines de familles. La cinéaste, qui vit désormais en France, se définit comme « juive et arabe », et ne cesse d’interroger, dans son œuvre, ce sentiment intime de double appartenance culturelle. »
J’ai 50 ans, suis agnostique mais depuis des décennies j’entends parler de ce conflit juifs/arabes. Et ça fait juste…heu…iech, hein! Alors je vais aller voir ce film ou de mémoires encore vivantes on devine que cela n’est pas une fatalité séculaire, non non. Et il y a d’autres exemples ailleurs dans le monde, et à d’autres époques.
Bien à vous