« Le silence sur les crimes coloniaux a des enjeux politiques » ( Amar Mohand-Amer)
Le silence « cultivé » par la France sur les crimes commis pendant la colonisation de l’Algérie répond à des enjeux « fondamentalement politiques, mémoriels et politiciens », a affirmé l’historien Amar Mohand-Amer, soulignant que ce dossier sert encore de « fonds de commerce politique » utilisé par la droite traditionnelle et l’extrême droite françaises, 59 ans après la fin de la guerre de libération nationale.
« Il est clair que ce sont des enjeux fondamentalement politiques, mémoriels mais surtout politiciens qui expliquent cette situation », a déclaré le directeur de la division socio-anthropologie de l’historie et de la mémoire (HisMém) au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d’Oran, dans un entretien accordé à l’APS, à l’occasion du 59e anniversaire de la fête de l’indépendance et de la jeunesse.
Le chercheur a relevé que l’histoire de la colonisation « est au cœur des clivages et luttes politiques et partisanes », notamment parmi la droite traditionnelle et l’extrême droite qui font encore de ce dossier « un fonds de commerce politique », selon lui.
« La France officielle va-t-elle reconnaitre un jour qu’en Algérie il y a eu des crimes contre l’humanité et s’en excuser, » s’est-il interrogé, émettant, à cet égard, des « doutes » pour la simple raison, a-t-il dit, que les lobbies et les « entrepreneurs mémoriels » en France sont « puissants. »
Questionné sur le rôle des historiens et des académiciens pour amener l’ancien colonisateur à regarder en face son passé colonial, M. Mohand-Amer a estimé que cette histoire concerne « avant tout les Français. »
Pour la partie algérienne, selon l’historien, « nous devons investir dans la recherche scientifique et soutenir plus concrètement les laboratoires de recherche historique. »
Concernant la non restitution des archives sur toute la période de la colonisation, Amar Mohand-Amer a relevé que « rares sont les pays qui restituent ce qu’ils ont pris dans les pays et territoires qu’ils ont conquis ou dominés. »
L’historien a souligné que cela reste « hypercomplexe » du fait que « des kilomètres d’archives sur l’Algérie sont en France. »
qualifiant la situation « d’ubuesque » dans la mesure où il devient de plus en plus « difficile pour nos jeunes chercheurs d’y accéder. »
Les mémoires représentent des enjeux politiques beaucoup plus complexes. Si la France s’efforce de freiner des quatre fers, c’est parce qu’elle sait le chaos qui déboulera chez elle et dans le monde sitôt les premières pages de ses archives sur son histoire coloniale révélées. Elle le sait et continuera ainsi de refuser son suicide politique en attendant un avenir lointain, très lointain. Pour ce qui est de l’Algérie, c’est une autre paire de manches. Jusqu’à aujourd’hui, aucun dirigeant politique « en responsabilité » n’a osé entrouvrir les archives aux historiens et aux chercheurs. On en est encore aux guerres de tranchées via les réseaux sociaux à s’invectiver et à s’écharper sur l’émir Abdelkader, les frères El-Mokrani et sur qui a assassiné Amirouche, Krim, Khider, Chabani, Boudiaf et tout le reste. Les prévisions ne sont pas bonnes de côté-là et les délais pour aboutir s’annoncent longs et fastidieux. Entre temps, on s’éloigne de la vraie histoire du mouvement national algérien dans son ensemble et depuis le début. Impossible aujourd’hui, nos dirigeants n’en sont pas capables, ils sont faibles parce qu’illégitimes, et les charniers sont encore chauds. Le débat est là.