Ce que révèlent nos caméras cachées
Durant ce mois de Ramadhan, des téléspectateurs algériens ont crié au scandale, choqués par des caméras cachées à l’humour douteux et dont les auteurs ne semblent avoir d’autre objectif que d’humilier les personnes piégées. Véritable phénomène de société, ces émissions servies par des chaînes de télévision privées durant le mois sacré dépassent souvent les limites de la décence soulevant, au passage, de sérieuses interrogations. Pourquoi ces émissions sont-elles si nombreuses ? Et pour quelle raison leurs concepteurs croient-ils que des gens normalement constitués voudraient regarder des personnes se faire rabaisser et malmener ?
Il serait superficiel d’expliquer le « style » de ces émissions uniquement par le manque d’imagination de leurs auteurs ou par la rareté de scénaristes compétents. Il semble qu’il y ait quelque chose d’un peu plus profond que cela.
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À bien y regarder, les caméras cachées qui portent atteinte à la dignité humaine ne sont pas apparues avec les chaînes de télévision privées. Au début des années 2000, certaines caméras cachées « publiques » étaient tout aussi choquantes. Dans l’une d’elles, des passants se faisaient tout bonnement embarquer dans un faux véhicule de police sans savoir pourquoi. On leur expliquait après d’interminables minutes de séquestration que c’était pour rire.
Dans les années 1990, dans un taxi pas tout à fait comme les autres, les passagers se retrouvaient subitement immobilisés par une ceinture de sécurité truquée qui les empêchait de fuir lorsqu’une sorte de sorcier maléfique s’installait à côté d’eux. Une trouvaille. Cette caméra cachée était diffusée alors que le terrorisme sévissait encore. Des gens déjà traumatisés et inquiets pour leur sécurité devaient, en plus, subir une expérience paranormale terrifiante.
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Plus tôt, durant les années 1970, les premières caméras cachées algériennes n’étaient pas toutes irréprochables, quoi qu’en disent les nostalgiques. Dans l’une d’elles, probablement la plus célèbre, un homme est accusé de n’avoir pas respecté le jeûne pendant le Ramadhan. Touché dans son amour-propre, le jeûneur est allé jusqu’à brandir un poignard avec la nette intention de frapper.
L’humour pointé récemment du doigt par une partie des téléspectateurs algériens et qui, d’ailleurs, a fait réagir l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) n’est pas né avec les chaînes de télévision privées dont beaucoup ont fait de la moquerie une marque de fabrique et de l’humiliation le thème central de leurs « œuvres ». Ces chaînes n’ont fait qu’amplifier une tradition qui existait depuis longtemps.
Il y a quelques jours, lorsque le représentant d’une chaîne de télévision privée s’est confondu en excuses après avoir subi un avertissement de l’ARAV, il paraissait réellement surpris par les réactions suscitées suite à l’émission diffusée sur sa chaîne. Et il y avait de quoi être surpris parce que, jusqu’ici, les gens ne disaient presque rien. Les choses avaient toujours été ainsi. Cela durait depuis tellement longtemps que l’on croyait qu’il était dans l’ordre des choses de faire peur, de mettre en colère et de toucher à l’amour-propre des gens, pour la gloire d’une émission de télé.
À travers le phénomène des caméras cachées à l’algérienne, se pose, avec insistance, la question du respect du citoyen, du regard que l’on porte sur nous-mêmes et sur les autres comme individus au sein d’une même société. Dans les pays où la citoyenneté est la dignité humaine sont des valeurs indiscutables, il serait difficile d’imaginer une émission où l’on se sente menacé physiquement, insulté ou ridiculisé. Ne parlons pas ici des canulars destinés aux stars, une autre catégorie où, dans certains cas, les victimes sont complices et savent exactement ce qui les attend.
Le respect témoigné au citoyen dans un pays donné peut se mesurer à travers une multitude de paramètres dont, pour ce qui nous concerne, le traitement que lui réservent systématiquement les émissions de caméras cachées.
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Les critiques, de plus en plus audibles, exprimées quant au contenu des émissions humoristiques, témoignent peut-être du changement d’attitude amorcé par une partie du public algérien devenue plus exigeante et disposant d’outils de comparaison. Ces téléspectateurs ont manifestement pris conscience qu’humilier une personne, lui manquer de respect sous quelque forme que ce soit n’était plus admissible, même pour rire. Surtout pour rire.
Ahmed Gasmia est journaliste de profession. Il vit et travaille à Alger. Auteur de romans d’aventures dont Complot à Alger (Casbah, 2006), Promesse de bandit (2018), Les peuples du ciel (2019), il est aussi passionné de cinéma d’action. Une passion qui transparait clairement dans ses textes à travers un style d’écriture plutôt visuel.