Adieu Arezki ! -L’hommage de l’artiste Abdellah Ouldamer
Nous nous sommes rencontrés à l’école des beaux-arts d’Alger, et dès le départ, une grande amitié s’est nouée entre nous. À l’époque, personne ne pouvait prévoir que Larbi deviendrait l’un des plus grands peintres d’Algérie. Un jour, alors que j’étais dans ma chambre, quelqu’un frappa à la porte : c’était lui. Il m’invita à explorer un marché qu’il considérait comme un trésor à ciel ouvert. En réalité, il cherchait des épices qu’il aimait intégrer à sa peinture. Si un artiste en Algérie pouvait être qualifié de curieux jusqu’à la folie, c’était bien lui. Une fois, il se rendit même auprès d’une société de métaux pour réaliser des œuvres artistiques qui n’avaient rien à envier à certaines œuvres minimalistes. Nous quittâmes la cité et descendîmes une pente raide. Chaque fois que nous prenions un café quelque part, Larbi esquissait des traits avec le marc du café, maniant la petite cuillère à sucre comme s’il s’agissait d’un véritable pinceau. Larbi était un peintre mystique qui échappait à tous les courants. Son univers tournait autour de la matière ; il aimait verser, triturer, superposer en strates, décomposer, creuser, pulvériser, mêler le coaltar, les colles, les encres, les calamites et les cires. Le marché était une véritable caverne d’Ali Baba. On y trouvait de tout, même des lézards empaillés. Une vieille dame aux cheveux teints au henné insistait pour que le marchand lui offre un escargot, brandissant un dinar. Une autre femme derrière elle commenta : « Ah, oui, c’est connu… c’est pour un tour de sorcellerie ! » La première, mise hors d’elle, se retourna et la réprimanda immédiatement : « Mais qu’êtes-vous allée chercher là avec vos histoires de sorcellerie et tout le tralala, alors que l’escargot ne servirait qu’à cicatriser une blessure. » Le marchand, pour mettre fin au tapage, tendit la main et offrit le gastéropode à la vieille dame. Comme un chat dans un marché aux poissons, Larbi jubilait parmi toutes ces épices, herbes et substances diverses. Ses yeux fouillaient, ses mains touchaient, palpaient, pressaient ; son nez sentait et reniflait. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, nous finîmes par nous lasser au bout de quelques minutes, et nous nous retirâmes après que mon ami eut rempli sa sacoche qui ne le quittait jamais. En y repensant, jamais il ne sut pourquoi lui et moi nous comportions comme de vrais frères. Adieu, mon ami !