«Ali El Kenz est un sociologue qui n’a jamais succombé aux pièges de l’empirisme» (Rabeh Sebaa, sociologue)

Dans cette courte interview, Rabeh Sebaa, Professeur de Sociologie et d’anthropologie linguistique, nous parle du sociologue algérien Ali El Kenz, sa vie  et son apport au champ des études sociologiques algériennes. « Ali El Kenz est un sociologue de terrain mais qui n’a jamais succombé aux pièges ou aux sirènes de l’empirisme. Et étant donné la texture du contexte sociopolitique où il a opté pour  ce choix méthodologique il s’agit d’un réel tour de force Une sorte de vigilance épistémologique qu’il tenait à transmettre à ses étudiants et qu’il a synthétisé dans son ouvrage les Maitres penseurs », estime-t-il. 

Ali El Kenz est un sociologue connu. Quel a été son apport au champ sociologique algérien ?

Ali El Kenz figure indiscutablement parmi les précurseurs de cette discipline en Algérie. Transfuge de philosophie, il s’investit très vite dans les études sociologiques de terrain avec l’ensemble des moyens théoriques et méthodologiques que pouvaient offrir les sciences sociales et humaines dans ces années soixante dix. Ignorant les cloisonnements disciplinaires qui épousaient, parfois exagérément, les contours de différents courants de pensée, il opta pour l’approche multidimensionnelle. Une posture épistémique qui ne l’a jamais quitté. Une pluridisciplinarité critique est, sans conteste, sa marque de fabrique. Elle se trouve aussi bien dans ses travaux académiques que dans ses nombreuses contributions journalistiques.

 Sachant que les études en sociologie se différent, en quelle perspective s’inscrivait Ali El Kenz ?

Ali El Kenz est un sociologue de terrain mais qui n’a jamais succombé aux pièges ou aux sirènes de l’empirisme. Et étant donné la texture du contexte sociopolitique où il a opté pour  ce choix méthodologique il s’agit d’un réel tour de force, une sorte de vigilance épistémologique qu’il tenait à transmettre à ses étudiants et qu’il a synthétisé dans son ouvrage les Maîtres penseurs. Mais dès l’étude sur El Hadjar, il s’est illustré par ses positions critiques, ce qui dénotait avec le consensusualisme frileux de la plupart des sociologues organiques et notamment les tenants et les partisans du fameux soutien critique. Une approche ouvertement critique confirmée par l’ouvrage  intitulé l’économie de l’Algérie publié sous le pseudonyme de Tahar Benhouria qui n’est autre que le nom de son quartier à Skikda.

Menacé de mort, Ali El Kenz s’est exilé en France, comment expliquez-vous le peu d’ouvrages qui ont été publiés après son exil ?

Après l’assassinat de plusieurs universitaires et notamment de deux sociologues,  en l’occurrence, son ami Djilali Liabes et son collègue Mhamed Boukhobza, il s‘est résolu à quitter le pays en se dirigeant d’abord  vers Tunis ensuite à Nantes en France. Mais comme il a eu l’occasion de l’exprimer à maintes reprises, il a très mal vécu cet exil. Ce qui n’a pas été sans impacter ses capacités et sa volonté d’objectiver nombre de ses potentialités. Hormis Ecrits d’exil où il fait d’ailleurs montre de ce dépit. Le reste de ses écrits se résume à des conférences et des contributions  mais où il n’a jamais mis son sens critique au repos..

Tout le monde parle de l’étude qu’a menée Ali El Kenz sur le complexe sidérurgique d’Al Hadjar. Quel a été réellement son approche, son corpus ?

Cette étude sur le complexe EL Hadjar est la première grande synthèse du sociologue de terrain. Qui conserve toute sa teneur et toute sa force. Pour la réaliser il avait quitté Alger pour s’installer à Annaba afin de pouvoir observer et analyser de près ce qui était considéré comme le fleuron et la promesse de l’industrie algérienne. Ce dernier a été soumis à une observation soutenue. L’étude menée finement a montré une gestion bureaucratique des plus rigides et des dysfonctionnements structurels qui allaient se révéler dévastateurs pour le devenir du complexe sidérurgique dès les années quatre-vingt dix. Une étude prémonitoire qui contenait les prémices de la débâcle qui pointa du nez dès les années pour parvenir à la déroute qu’on connait.

Cette étude, comme les autres travaux d’Ali El Kenz, sont autant de jalons substantiels d’une sociologie critique qui ambitionne de dégrossir les épaisses opacités qui obturent la compréhension de la société.

 

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