« En Algérie, l’obscurantisme gagne de plus en plus de terrain » (Saïd Djabelkhir, islamologue)
« C’est la première fois dans l’histoire de l’Algérie qu’un universitaire est poursuivi pour avoir donné son avis dans son propre domaine de compétence. D’habitude, les gens qui sont poursuivis sont des militants, ou des jeunes qui publient sur les réseaux sociaux, mais pas des spécialistes de l’islam », a déclaré l’islamologue algérien Saïd Djabelkhir dans un entretien avec Le Figaro, après la plainte déposée contre lui par un collectif d’avocats pour « atteinte aux préceptes de l’islam et aux rites. »
Revenant sur l’ampleur de cette affaire dans le paysage intellectuel algérien, Saïd Djabelkhir a souligné que « les fondamentalistes souhaitent intimider tous les intellectuels qui ont l’audace d’avoir des avis qui sortent un peu de l’orthodoxie, de la doxa qu’on a l’habitude d’écouter sur les chaînes de télévision ou dans les prêches dans les mosquées », ajoutant qu’ils veulent « étouffer la liberté d’expression par tous les moyens, y compris en ayant recours à la justice. »
Abordant par ailleurs « la leçon non retenue par les Algériens » après la décennie noire, l’islamologue a précisé que « la violence, l’exclusion, le refus de l’altérité et du débat, tout cela est monnaie courante. » « L’obscurantisme gagne de plus en plus de terrain, c’est la réalité. Sur le plan des idées rien n’a changé depuis les années 1990: les programmes scolaires sont les mêmes, il n’y a rien qui encourage le débat, le vivre-ensemble, l’acceptation de la différence. Rien n’exclut que les événements ne se répètent. Nous n’avons rien fait pour en éliminer les causes. Elles vivent toujours dans notre quotidien, dans nos médias, et même dans le discours religieux », a-t-il fait remarquer.
Finalement, Saïd Djabelkhir n’a pas manqué de rappeler « les mérites de la Révolution du 22 février 2019 », soulignant que plusieurs tendances y cohabitent, « il est à un carrefour, on ne sait pas où cela va mener. » « Le Hirak a eu en tout cas un mérite : les Algériens commencent à comprendre que leurs problèmes ne peuvent pas être résolus en dehors du débat contradictoire et non-violent. Et c’est déjà un grand pas en avant », a-t-il conclu.
Pour rappel, le procès de Saïd Djabelkhir a été programmé pour demain, 1er avril 2021.