« L’Algérie et la France peuvent utiliser positivement leur bien commun » (Fouad Soufi, historien)

Dans une interview qu’a accordée au journal français Le monde, l’historien et archiviste algérien Fouad Soufi considère qu’entre la Franc et l’Algérie, il n’y a pas vraiment de contentieux mémoriel et qu’il suffit juste que chaque pays respecte la démarche de l’autre dans la lecture qu’il a de leur histoire commune. « Le problème mémoriel n’est pas, à mon avis, un contentieux aussi grave qu’il n’y paraît. Encore faut-il que chacun écrive sa part d’histoire et que celle-ci soit acceptée par l’autre. Il faut bien commencer par arrêter ce conflit. Toute démarche qui va dans le sens de l’échange, de l’ouverture, est respectable, » estime-t-il. S’agissant de la question de ce que le journaliste appelle « la domiciliation des archives relatives à la présence coloniale française en Algérie », M. Soufi se demande « où s’arrête la souveraineté et où commence la gestion » avant de souligner : « Je fais partie de ceux qui disent : ‘‘On commence par reconnaître que ces archives sont nées en Algérie. Elles n’ont de sens que par rapport à l’Algérie. Elles ne peuvent que rester en Algérie.’’ Et là il n’y a ni souveraineté ni gestion. Ensuite, ce qui me paraît le plus important, c’est de revenir au concept de ‘‘patrimoine commun’’ qui intéresse autant les Français que les Algériens. Dans ces conditions, les restitutions devraient être étudiées au cas par cas, par fonds, par séries et même par sous-séries.

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Empruntant une position critique objective des deux côtés, M. Soufi responsabilise la politique de l’Algérie mais aussi celle de la France quant au principe de « respect des fonds ». « Je pense personnellement que ce principe peut être dépassé par celui de ‘‘bien commun’’, de ‘‘bien culturel commun’’ que l’on peut partager. Il y a des fonds, de gestion comme de souveraineté, qui intéressent en priorité les Français, et d’autres qui intéressent en priorité les Algériens. L’ensemble de ces fonds constituent un bien ou un patrimoine commun. Il s’agit d’un héritage à partager entre héritiers. Au plan archivistique, cela semble compliqué, mais c’est ce que le Danemark a fait avec l’Islande, puis avec les îles Feroé et le Groenland. Il n’y a pas eu de drames », explique-t-il en assurant que « la plus belle leçon qu’on pourrait donner au monde, ce serait d’admettre que ces archives sont à la France et à l’Algérie, qu’elles sont à l’Algérie et à la France. » 

M. Soufi rappelle également l’engagement du Président François Mitterrand à proposer ce concept de « patrimoine commun ». « J’étais à l’époque un peu radical – ce devait être la jeunesse – et je soutenais :’’Oui, bien commun, mais les originaux rentrent chez nous et vous gardez les copies.’’ Maintenant, je pense qu’il faut en discuter, on peut utiliser positivement ce bien commun. On peut se mettre d’accord autour de dossiers à régler au cas par cas. Car  si on prend l’option de faire des copies, on en a pour un siècle, » soutient Fouad Soufi.

Concluant par une vision médiane pour une réconciliation entre les deux pays, l’historien et archiviste estime qu’entre les chercheurs et les populations française et algérienne, les échanges n’ont jamais cessé, ce qui devrait faciliter toute démarche de réconciliation mémorielle. « Du côté des historiens, les échanges n’ont jamais cessé. Et du côté de la population, autant qu’il m’en souvienne, il y a eu de fructueux échanges, avec ces visites en Algérie de pieds-noirs qui sont revenus revoir leurs maisons, leurs amis. Tout le monde les a très bien accueillis. Bien sûr, certains de ces pieds-noirs en ont faussement conclu : ‘‘Les Algériens nous regrettent.’’ Oui, ils vous regrettent, car on regrette toujours un ami qui est parti. Mais ils ne vous regrettent pas en tant que membres d’un système qui ne pouvait être que raciste, qui ne pouvait être qu’indifférent à la souffrance des Algériens. »

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