Le 16 avril 1962, le jour où Jean Amrouche est décédé
La trajectoire intellectuelle de Jean El Mouhoub Amrouche donne à voir des visions totalement paradoxales : chrétien dans une majorité musulmane, Algérien de culture française, Français rejeté pour son algérianité. Cette mosaïque ne peut former qu’un poète ou un suicidaire. Pourtant, Jean Amrouche fut le poète. « J’avais onze ans. Petit Kabyle chrétien, j’étais roulé entre les puissantes masses que constituaient mes condisciples : renégat pour les musulmans, carne venduta (viande vendue) pour les Italiens, bicot au regard des Français », écrit-t-il pour décrire le puits de différences que sa personne formait.
La poésie de Jean Amrouche réincarne l’histoire multimillénaire et le legs ancestral authentiques de la culture berbère. Elle réinsuffle la spiritualité d’une multitude de religions ayant été brassées sur le sol nord-africain. « Sa religion s’appelle poésie (…) Il s’agit, au-delà des cruautés et des mensonges, de l’histoire d’être de la poésie. Pour cela, Jean Amrouche traverse par moments le verbe biblique pour s’enraciner dans une terre méditerranéenne acquise depuis les siècles à l’Islam », témoigne Aimé Césaire.
Formé de toute pièce, l’esprit intellectuel de Jean Amrouche est difficilement caractérisable : déchirement, altérité, double culture, interculturalité… Il s’agit en somme d’un tout contredit et stable. « Ses Lettres de l’absent sont une douleur vive qui parle de l’enfant orphelin de père, de mère et de patrie. Il y est souvent question d’amour et de source jaillissante. C’est une sorte de journal de quelqu’un qui a tout perdu et se sent riche de tout ce qui loin de son regard. Il attend pour reconquérir l’enfance et le poème nu », écrit Tahar Ben Jelloun.