Milan Kundera : une fiction doublée de réflexion
Par ce court texte, je rends hommage à Milan Kundera. Je tiens à lui exprimer ma gratitude pour m’avoir fait découvrir la littérature-monde. Son œuvre, qu’elle soit romanesque ou théorique, constitue une bibliothèque et renvoie le lecteur à une constellation de romanciers qui ont participé à l’évolution de l’art romanesque. Ces quelques lignes traitent donc du roman vu par l’auteur de La Fête de l’insignifiance.
Pour Kundera, le roman est une forme d’expression artistique dont la tâche principale est d’examiner l’existence à travers des “ego expérimentaux”. Selon cet auteur, le roman est un art provenant de l’Europe qui a progressivement pu se développer sur d’autres continents. À l’échelle de l’histoire littéraire mondiale, il s’agit d’une tradition relativement récente qui a été inaugurée par des auteurs comme Rabelais et Cervantès. Le roman se caractérise par un esprit de relativisme et par un penchant pour l’humour et l’ironie. Kundera ne manque pas de souligner que le roman est menacé par l’esprit totalitaire qui s’est développé au cours du vingtième siècle: “La Vérité totalitaire exclut la relativité, le doute, l’interrogation et elle ne peut donc jamais se concilier avec ce que j’appellerai l’esprit du roman” (L’art du roman, 25).
Ce que Kundera appelle “l’art du roman” se fonde principalement sur l’expérience de l’existence par le biais des personnages. Vu sous cet angle, le roman devient un mode majeur de la pensée du fait que sa forme souple permet d’introduire de la réflexion critique ou philosophique à l’intérieur du discours narratif. Kundera est donc un adepte du roman-essai. Chez lui comme chez l’écrivain autrichien Hermann Broch, une de ses références majeures dans L’art du roman (1986), la pensée essayistique est associée à la pensée romanesque. Les différentes questions posées par le narrateur et par les personnages dans son oeuvre constituent les fondements épistémologiques du roman essayistique, trait d’union entre littérature, critique et philosophie. Le roman constitue donc un espace de réflexion critique soutenue par la digression essayistique, favorisant par ailleurs une critique créatrice.
Kundera fait remarquer qu’il y a des romans qui se trouvent en dehors de l’histoire du roman proprement dit, c’est-à-dire des romans vidés de la forme romanesque. En outre, il anticipe la mort du roman, une “mort dissimulée qui passe inaperçue et ne choque personne” (L’art du roman, 26). Selon Kundera, le roman est caractérisé par une esthétique de la composition et de la forme. En effet, l’auteur de L’identité exclut de la sphère du roman des textes romancés, c’est-à-dire qui n’ont rien à voir avec l’esprit relativiste propre à l’art du roman. Ces textes sont de simples histoires racontées par écrit, sans aucun souci pour la composition, sans aucune expérimentation au niveau de la forme. En exprimant ses inquiétudes vis-à-vis de la disparition du roman dans un monde incompatible avec son esprit, Kundera propose quatre appels auxquels tout romancier doit être sensible. Il s’agit de l’appel du jeu, du rêve, de la pensée et du temps. La poétique kundérienne du roman s’appuie principalement sur ces appels.
Votre hommage à Milan Kundera est poignant. La notion de ‘mort dissimulée’ du roman et les appels à la créativité sont des points particulièrement marquants. Merci pour cette réflexion précieuse.