Omar Guendouz, le speakeur des humbles

Le Guendouz Omar dont il est question ne peut-être confondu avec le feu comédien dramatique de Babour Ghrek et Boualem Zid L’ghodem.

 L’objet de cette évocation est de faire naître une partie de notre mémoire historique et radiophonique. Ceux qui s’empressaient dans les cafés maures d’Alger et de Blida afin d’écouter la radio TSF et s’imbiber de ses causeries et ses émissions musicales ne sont plus de ce monde.

Bien avant M. Salah Akrour, Mlle Djamila Débèche, Cheikh Noureddine et bien d’autres, Omar Guendouz est la première voix radiophonique algérienne que les humbles de la  colonisation européenne allaient écouter sur Radio-PTT-Alger (RPTTA) installée dans les sous-sols du siège du proconsul colonial : le Gouvernement général d’Algérie.

Qui est M. Guendouz Omar ?

Il est le fils de Guendouz Lounes et d’Aïcha Hadj-Brahim, né le 30 novembre 1876 à Draa-el-Mizan. Instituteur d’arabe de formation, il enseigna à l’école primaire d’indigènes arabo-français, de la rue Montpensier (aujourd’hui rue Debbih Chérif) de Soustara. Connu pour être un fin et agréable conférencier dès 1907 au sein de l’Association Amicale des anciens élèves des Écoles Franco-arabes (la Rachidia), fondée en 1902 et qui a été ralliée, un premier temps, par le mouvement « Jeunes-Algériens » et dont le fondateur n’est autre que M. Sarrouy, un lettré de l’assimilation des Algériens musulmans, M. Guendouz s’est marié en octobre 1912 à Mme Megharsi Nefissa Bent-Mohamed (1897-1971) et père de trois enfants, à savoir Amine (1916-1943), Zineb-Aïda (1918-1972) et Zakya-Amina (1921-1985). Habitant essentiellement à Alger, il décèdera le 6 août 1940 et sera enterré le 7 août1940 au cimetière de Belcourt.

Sa voix retentit pour la première fois dès le mois de juin 1929 à 20h. 55, durant le premier concert musical algérien, avec son ton de commentateur et de présentateur parlant dans l’arabe usuel. Durant cette émission, Omar Guendouz sera chargé de traduire les annonces officielles, les publicités et les résumés de chaque  programme musical en français et en arabe. Il y a lieu de noter que le contenu est passé au crible du service de l’écoute de la surveillance radiotélégraphique du proconsul colonial.

Omar Guendouz, comme membre de la Rachidia, fera sa première intervention publique lors d’une conférence sur les bienfaits et les applications de l’électricité, dont l’assistance algérienne était nombreuse « comme si on avait disserté sur des pages du Coran », peut-on lire dans les pages de la presse coloniale. Pour ne pas citer son éloquence et sa force attractive du public, M. Guendouz faisait suivre cette conférence d’illustrations et d’expérience devant son public intéressé.

Le 16 janvier 1913, Omar Guendouz est élu membre assesseur de la Rachidia dont M. Sarrouy était le président. Aux côtés du future speakeur  de RPTTA, siégeaient ses coreligionnaires le Dr. Brehmat, Ben-Guettat et M. Fatah, devenu le trésorier de ladite association au milieu d’une majorité européenne bien dominante au sein du conseil d’administration.

Durant la distribution des  récompenses honorifiques aux instituteurs et institutrices, Omar Guendouz, alors âgé de 37 ans, recevait le 8 juillet 1913 un don de livres comme récompense qui fut un geste bien significatif dans une Algérie où le colonialisme ne cultivait que l’ignorance envers le reste de la population.

Le conférencier et animateur radio

Au mois de mai 1918, M. Guendouz est alors secrétaire de la Rachidia et donnera à la salle des Anciens élèves du lycée d’Alger (aujourd’hui Ghanem Djilali) une conférence pédagogique sous le titre de La vie  des insectes utiles et insectes nuisibles. À première lecture, le titre de l’intervention paraitrait dégradant, mais le choix du sujet n’est nullement fortuit, puisque M. Guendouz, l’enseignant d’arabe, est nettement en relation avec le contexte social de l’époque face à la dégradation de l’hygiène de vie des colonisés durant cette 1er guerre impérialiste européenne. Sa modeste dissertation est certainement une marque d’engagement civique en direction de ses compatriotes, leur prouvant qu’un Algérien musulman peut maitriser une thématique scientifique en vulgarisant un savoir qui n’est nullement destiné aux « sujets de la colonie-Algérie ».

Le 4 décembre 1918 et au sein de la même salle du lycée d’Alger, Omar Guendouz traitera des Hauts-Plateaux et les Arabes nomades. Un sujet qu’il illustrera avec des vues dites fixes (photos-diapos) et d’autres cinématographiques. N’est-ce pas une pratique qui pourrait-être, aujourd’hui, inscrite comme une des premières conférences scientifiques d’un Algérien sous la colonisation ? La conférence, comme  de tradition à cette époque, fut suivie d’une fin d’après-midi musicale exécutée par l’orchestre andalou algérois de M. Yafil, une manière de joindre l’instructif à l’agréable en apportant un instant de bien-être et en s’ouvrant à d’autres arts locaux.

La Rachidia, bien que qualifiée d’ « association française » par les mémoires de M. Mahieddine Bachetarzi, a mainte fois et à plusieurs occasions associé la Moutribia ainsi que la Andalousia et d’autres société musicale dont font partie des Algériens. En 1918, la Rachidia est présidée par le docteur Belkacem Benthami, un ancien aide-major de 1er Classe à l’hôpital musulman de Nogent-sur-Marne durant la « Grande guerre » européenne et futur compagnon de l’émir Khaled et de son porte-drapeau Ahmed Balloul, Bahloul avant sa naturalisation forcée.

À la salle du Splendid-Cinéma, M. Guendouz, comme membre dynamique de la Rachidia, invitera cette fois Omar Racim, peintre, décorateur et calligraphe aux œuvres hautement appréciés, frère du déjà très célèbre miniaturiste Mohamed Racim. Il sera question d’architecture et d’art musulman allant de la mosquée des Omeyades (Syrie) jusqu’à l’Alhambra (Andalousie). Vu son imposante présence parmi le monde associatif algérois, il sera convié au tout début de 1926, à être membre des conseils administratifs de la Ligue des Fonctionnaires d’Algérie et celui de la Ligue des Familles nombreuses françaises d’Algérie. Sur le champ culturel, M. Guendouz brillera enfin à travers deux conférences bien marquantes et qu’il me semble aujourd’hui nécessaire d’inscrire dans les annales de notre histoire culturelle.

Le 28 mai 1927, Omar Guendouz fera une conférence sous les auspices de la Ligue de l’Enseignement où, durant 50 minutes, il est question du mois de ramadhan. Intitulée L Ramadan à Alger.Impression d’un jeuneur, M. Guendouz définira le mois sacré selon les préceptes coraniques établis par le prophète de l’Islam, des trois périodes historiques que sont le mois du sacrifice, de la symbolique du 27ème jours, du rôle du Mufti et du muezzin qui appelle les fidèles à la prière. Le 4 juin 1930, il interviendra sous la houlette de la Société de géographie d’Alger et de l’Afrique du Nord, avec une conférence intitulée Le Sahara et son poète, l’Émir Abdelkader. C’est peut-être aussi la première fois qu’un Algérien donne une conférence sur cette personnalité patriotique, religieusement respectée à l’époque par l’ensemble des Algériens. Entre le Ramadhan et l’Émir Abdelkader, Omar Guendouz trouvera matière à partager avec ses auditeurs, Algériens et Européens, de janvier 1930 jusqu’à février 1933.

Sur Radio-PTT-Alger, M. Guendouz était à la fois speakeur, animateur d’émissions de concerts de musique et traducteur. On le présenté dans les programmes comme enseignant d’arabe et, dès le 25 janvier 1930, sa voix s’écoutait déjà à New-York et à Washington, selon le témoignage de radioamateurs français de l’époque. Il se chargeait de tout lire dans son arabe usuel. Un travail titanesque pour celui qui avait réussi à faire graviter autour de lui les plus grands maîtres de la musique andalouse, chaâbie et traditionnelle du pays. Il avait connu M.M. Fakhardji, Belhocine, Lilli L’Abassi, Myache, le guitariste de Tlemcen, Il faut signaler par ailleurs que M. Guendouz est aussi auteur d’une traduction d’un opuscule du cheikh Al-Aloui, guide de la confrérie du même nom, intitulé Le Guide pratique du musulman (1930).

Pour rendre justice à M. Omar Guendouz, cette voix des humbles, et ses semblables, ne pourrait-on pas faire un juste effort de réexamen des sacrifices de nos aînés en reconsidérant leurs apports en évitant de « singer » les concepts idéologiques accusatifs d’assimilationnistes et autres consommables imitatifs.

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