« Une difficile fin de moi » ou le plaisir de se voir crever

Dans le monde des arts et de la littérature, la célébrité et les prix ne sont jamais un critère, car il existe bien des écrivains au grand mérite, mais dont le grand public ignore l’existence. L’aventure des maisons d’édition pour publier leurs œuvres et les mettre en avant s’avère elle aussi une tâche difficile. Pour Ahmed Zitouni, écrivain algérien établi en France, écrire en liberté sur les thèmes qui lui tiennent au cœur et se faire publier pourraient simplement suffire.

Diplômé en mathématiques de l’Ecole Normale d’Oran et titulaire d’un doctorat de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, Ahmed Zitouni n’a jamais été attiré par les luttes des carrières, mais il s’est consacré à son activité salvatrice : l’écriture.

Entreprendre la lecture de l’une des œuvres d’Ahmed Zitouni, se serrer les dents est la première réaction, suivie d’un crapahutage et de pas hésitants devant l’incontrôlable déferlement des métaphores et d’émotions indécises. Le lecteur d’Une difficile fin de moi, doit, dès les premières pages, se préparer à la pesanteur écrasante des mots, au désarroi émotionnel. S’attendre à une intrigue en évolution permanente rendrait la lecture moins jouissive ; se soumettre à l’emprise suffocante de la détérioration d’un corps en vie est le risque à prendre pour doubler de plaisir.

Dans Une difficile fin de moi d’Ahmed Zitouni, l’univers est un corps dénué de mouvements, mais doté d’un esprit aussi suicidaire que raisonnable. Une écriture chirurgicale non pas dans la précision, mais dans l’anatomie que se dessine le personnage de ses propres organes. Un lyrisme au rythme haletant, donnant à voir l’agonie dans ses pires états, mastiquant les souvenirs d’un passé dispersé entre les caprices du temps. « Sueur acide sur le front à l’idée de l’épreuve qui m’attend. Impression de crispation de toutes les glandes dans le corps, surtout celles entre bouche et fin d’estomac. Irritation des papilles gustatives. Respirer fort, ne pas penser à Fathia. Ses yeux surtout. Démesurés », écrit Ahmed Zitouni.

Ce roman s’est aventuré dans le noyau interne du corps humain : l’estomac, « le foyer des maux » ou « le second cerveau » comme le désignent les Arabes, pour donner naissance à un mariage entre le littéraire et le médical, imprégnés dans une mélodie de l’agonie. « Carence en vitamine B avec paresthésies, il faut s’attendre à des polynévrites ? … Rachialgie ? … Arthralgie ? … Avec un tel déficit, c’est la voie ouverte à l’encéphalopathie », dit le médecin, devant qui « le dénutritionniste » se tient dans une posture de paranoïaque à travers laquelle l’auteur a insinué une sorte de sarcasme face à la rigidité de son comportement. « Le salaud, il a détecté le bouquet d’hémorroïde que j’héberge en douce. M’en fous. A part les démangeaisons, je crains plus grand-chose de ce côté. D’ailleurs, je ne vais plus à la selle depuis ? … Depuis ? … Disons depuis quelques jours », se dit-il.

Le quotidien de cet homme qui a choisi de se donner à une telle « implacable mécanique » est fondé sur l’absurde dans tous ses états : l’absurde du choix, de la vie et de la décomposition d’un corps sans objectif humainement justifiable. Face à la dénutrition, les souvenirs émergent des entrailles vides, les envies sexuelles s’éteignent sans regret. Cet état d’âme donne à voir, en plus de la dénutrition, un auto-nettoyage de tous les souvenirs, comme se préparant à « crever », l’homme choisit de « se vider » des moindres traces de son existence. « La paix. La nuit enfin. Laisse-moi un moment. Rien qu’un moment. Avec les yeux de la veuve. L’image de ma fin consommée pour la première fois dans son visage. Dans l’étrange jeunesse de ses joues. Dans ses yeux d’adulte privé d’enfance […] Laise-moi revenir à la mise à mort volontaire de mon pucelage », se dit-t-il.

Une difficile fin de moi d’Ahmed Zitouni se lit comme essai où tous les concepts de la vie se retrouvent débattus à la lumière d’une faim dépressive, remettant en cause la question tant discutée par les philosophes : « La vie, vaut-elle la peine d’être vécue ? » Le personnage d’Ahmed Zitouni ne donne aucune réponse à cela, mais laisse son « choix » accomplir les pires des mécaniques : se donner à la mort le ventre et l’esprit vides.

2 thoughts on “« Une difficile fin de moi » ou le plaisir de se voir crever

  1. L’absurde qui assaille ou englobe la condition humaine feraient bon ménage !?
    A lire cette bienvenue synthèse du livre – un (genre d’)essai ?- l’on reste sur sa faim d’en savoir davantage encore..sur tout le cheminement de l’histoire – une descente aux enfers ? Ainsi que sur toutes les péripéties et constructions philosophiques ..ou questionnements existentiels auxquels le  »narrateur, que le sujet » nous y inviterait ..à en prendre sinon fait et cause, en tout cas à cerner ou partager dans l’intimité de l’être – de son histoire
    Quoi ? c’était le but recherché ?
    Alors qu’à cela ne tienne !
    C’est réussi ..
    S;O

  2. Tes mots détiennent une mélodie harmonieuse et au delà de la fluidité de tes propos la magie est lourde de sens, l’article bien qu’il représente une description purement littéraire. Son emboîtement c’est à dire entre le personnage et l’auteur formentt une très belle hégémonie littéraire

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