Chevrotements
Du foin et du charbon. Des troncs d’arbre en tranches de saucissons. Des couteaux, des machettes et des haches. A même le sol. Ou sur des trottoirs irrémédiablement édentés. Face à des brebis effarées. Livrées aux regards traversiers et au soupesage répété des fieffés triturateurs. Et aux frôlements renouvelés des palpeurs. Tâtant grossièrement la moindre partie de chair couverte de laine. Sondant brusquement les cornes. Écrasant farouchement la queue. Et marmonnant un verdict sans appel. Tout en se dirigeant vers un autre animal qui digère placidement un bout de carton rabougri. Un carton encrassé qui traînait là depuis des lustres. Avant de croiser enfin les mâchoires ruminantes de son brutal destin. D’autres triturateurs de queues tourbillonnent en soulevant des nuées poussiéreuses. Tout en spéculant fiévreusement sur la flambée des prix. Les comparant à ceux de l’année dernière. Et ceux de l’année d’avant. Transformant cet attroupement en meeting champêtre. Dissertant sur la cherté de la vie, sur l’inflation et sur les mécanismes de l‘économie paupérisante. Palabrant aussi sur l’avenir du pays. Accablant les gouvernants de tous les maux ovins. Les accusant de pervertir les traditions. Citant immanquablement le privilège de tous ceux qui obtiennent, chaque année, leur paquet de chair gracieusement. Ceux qui ne sont même pas foutus de respecter l’angoisse qui colle à l’achat du mouton. Tous ces frondeurs qui tâtent en râlant, qui soupèsent en pestant, et qui se cabrent en rageant sortent leurs billets froissés. Tous ces afficheurs d’exaspération iront dépecer, méticuleusement, l’objet de leur jasante indignation.