La société incivile ou le retour des luffas
C’est comme l’histoire de la bonne soupe dans les vielles marmites. Revisitée à l’aune de la politique. Et accommodée à la sauce clientèlique. On reprend les mêmes pour recommencer. Les identiques pour rebeloter. Les pareils, les analogues, les similaires et les semblables pour récidiver. Pour réitérer les mêmes bouffonneries. Et ressasser les mêmes niaiseries. Le procédé est éprouvé. Garanti et assuré. Et surtout à moindre frais. Il suffit d’un coup de sifflet à l’attelage. Pour sonner le tocsin du rabattage de la meute. Coutumière du dressage. La horde des souteneurs professionnels. Les cercles douteux. Les carrés ténébreux. Les triangles brumeux. Et les trapèzes fumeux. Tous les abonnés des râteliers nébuleux. Conviés, instamment, à reprendre du service. Pour la promotion du nouveau vide. Même gestique. Même rythmique. Même mimique.Une spirale louangeuse, encenseuse, flagorneuse, qui gigote outrageusement. Chaque fois qu’il y a quelque chose à gratter. Une miette à partager. Un terrain à voler. Un marché à rafler. Un magot à détourner. Une relation trouble à fonder. Car les souteneurs s’accommodent de n’importe quel soutenable. Des souteneurs professionnels qui n’ont ni métier, ni qualification, ni foi, ni éthique. Et pas l‘ombre de la moindre retenue. Des cabotins qu’on affuble euphémiquement de la notion de société civile. Une notion malmenée. Eclaboussée. Trainée dans la boue. Torturée. Et dénaturée. Il faut alors lui rendre un brin de son honneur. Car cette notion de société civile a une histoire. Un passé. Un cheminement.Une fonction. Et plusieurs fortunes sémantiques. À l’origine, elle a été forgée pour exprimer fondamentalement l’idée d’un contre-pouvoir. Comme vis-à-vis critique de la société politique. Dans nombre de sociétés occidentales. Par la suite, son universalisation s’est accompagnée de sa polysémisation. Et donc de son appauvrissement. Parfois son pervertissement. Comme c’est précisément le cas en Algérie. Où l’usage perverti de la notion de société civile a connu, au moins, trois moments. Convoquée d’abord pour désigner un agrégat associatif magmatique. Des semblants d’associations tous azimuts. Des regroupements conjoncturels, des attroupements circonstanciels, prétendant s’inscrire dans le projet de consolidation du lien social. Ou l’affermissement du tissu culturel. La consolidation du lien social est l’une des missions fondamentales et fondatrices de la société civile originelle. Cette mission n’a jamais été remplie, en Algérie, par les milliers d’associations, soumises et inféodées. Satellisées et vassalisées. Ensuite, un second moment, dans la dialectique générale de la mise en scène dudit magma associatif comme creuset d’une clientélisation assumée. Ayant pour pendant une instrumentalisation consommée. À des fins de soutien, de caution et de consolidation d’un régime en quête de légitimation. En contrepartie, de mirobolantes subventions. Une forme de corruption généralisée, officialisée et institutionnalisée. Et qui revient chaque fois au galop. Un troisième et récent moment, enfin, consécutif à la survenue du mouvement citoyen. Sur fond insurrectionnel. Ouvertement radical et fermement pacifique. Et qui s’est traduit par une notable radicalisation de quelques segments sociétaux, endossant une distance critique. Poussant à repenser la proximité du pouvoir politique. Quelques segments, libérés de la tutelle du régime et refusant ostensiblement la double mission de remplissage des salles et d’applaudimètre collectif. Ce troisième moment consacre le lieu de fondation de l’embryon d’une société civile en formation. Une société civile en devenir. Une société civile à la recherche d’une vocation. Et qui n’a strictement rien à voir avec tous ces bouffons tourbillonnants qu’on remet cycliquement en scène. Des paillasses visqueuses, prêtes à soutenir même l’insoutenable. En bradant, sans vergogne, leurs résidus d’âme, au noir. À n’importe quel diable, travesti en pouvoir.