Entre meute et émeute

Seule une lettre les sépare. Mais beaucoup de contiguïtés les scellent. Le lynchage ahurissant d’un jeune artiste, tué, brûlé et décapité en est une funeste et fumante illustration. La notion d’émeute, criminelle ou non, a déjà une histoire en Algérie. Et c’est précisément pour cette raison que nombre d’approches ou d’outils d’analyse habituellement utilisés pour l’appréhender, et repris présentement à  l’excès, se trouvent frappés de caducité. L’émeute, « esmote », signifie mouvement, explosion, éclatement en parlant de manifestations ou de soulèvements populaires ou esmuettes. Formé du part. passé de émouvoir d’après meute au sens de soulèvement, de mouvement mais aussi, et c’est ce qui est important à souligner. d’expédition. Quant à la meute , il s’agit d’ un substantif formé du féminin du participe latin motus, et signifiant partie de chasse. écrit autrefois muete est devenu, nom de rendez-vous de chasse. Alors comment lire cet acte collectif de chasse sauvage ayant pour scène une place publique algérienne ? Les causes servies habituellement pour l’expliquer, telles que les déséquilibres économiques régionaux ou les dérèglements sociaux générateurs de colère et de désemparement psychosociaux ne suffisent pas. Même s’ils continuent à intervenir dans la survenue du désordre et en constituent l’épiphénomène récurrent. Car les troubles violents ou les agissements criminels collectifs, qui apparaissent épisodiquement dans telle ou telle région du pays, constituent ce qu’on pourrait appeler des lieux syndromiques. L’expression d’un faisceau de syndromes qui doivent être appréhendés chacun pour ce qu’il est et de façon différenciée. Un syndrome est, comme on le sait, un ensemble de signes, au sens clinique du terme, mais qui ne sont pas forcément porteurs des mêmes violences et des mêmes destructibilités. Il est impératif de s’atteler à comprendre et à analyser la traçabilité de chaque acte collectif criminogène ou criminel. Au lieu de succomber hâtivement au confort de la catégorisation généralisante. Il ne saurait y avoir d’identité absolue entre cet homicide à ciel ouvert et les féminicides répétés. Même s’il existe des caractères patents de proximité ou de parenté. Notamment dans leurs formes de manifestation excessivement brutales.

Chacune des régions du pays a sa propre identité socioculturelle. Chacune a une contexture socio-anthropologique qui interdit les amalgames fusionnels. Et la notion de  violence  criminelle reconduit bien la dimension symptomatique ou syndromique qui échappe aux catégorisations de type taxinomique. Globalement, on peut les considérer comme étant des moments d’enfourchure pour ne pas dire de rupture, dans une sorte de linéarité sociopolitique, qui a pour substruction fondamentale un déficit chronique d’indignation de la société. En effet, malgré quelques pics devenus légendaires, la société algérienne accuse un énorme déficit d’indignation. Un déficit que le mouvement citoyen appelé Hirak a bien mis en exergue. Ce déficit d’indignation est souvent confondu avec de la normativité institutionnelle, elle-même considérée comme le palladium de la paix sociale. Et c’est précisément pour cela que chaque éveil d’indignation sous forme de soulèvement ou d’émeute est considéré comme une dissension ou une disjonction de nature anomique. L’indignation constante doit être considérée comme une forme d’expression de l’exercice ordinaire de la citoyenneté. Une citoyenneté elle-même en constitution et qui requiert immanquablement des formes paradoxales. Mais il faut se garder de confondre paradoxe et antinomie. Le jumelage ou l’assemblage de tout tribalisme avec tout processus de citoyennisation est une criante antinomie. Dans la mesure où on ne peut conjuguer citoyenneté et tribalité, modernité et féodalité même si, dans des pans importants de la société algérienne, ces dimensions continuent à se côtoyer sans se fréquenter. Le passage de l’émeute à la meute se nourrit de toutes ces vulnérabilités.

 

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