L’aveu de Djaad et le verdict de Lukács
En Algérie, la culture n’est ni une fin, ni un moyen. Dans ce pays où le papier bavarde à satiété, on écrit très peu sur la culture et on en parle presque en cachette. Sur la centaine de quotidiens nationaux, moins d’une dizaine ont une rubrique culturelle qui, pour le malheur des amoureux des arts et des lettres, disparaissent souvent quand l’espace est quémandé par une autre rubrique. Des émissions télé et radio ? Il y en a très peu et parce qu’elles ne sont pas nombreuses, elles peinent toujours à s’imposer comme rendez-vous incontournables pour les téléspectateurs algériens dont l’attention est sans cesse sollicitée par des milliers d’autres émissions autrement plus riches et plus agressives. Pourquoi ? Sans exagérer, on peut affirmer que cette débandade qui pénalise aussi bien les acteurs culturels que leurs publics est due à un manque de vision et de stratégie qui laisse le terrain libre devant la spontanéité inféconde de certains amateurs et amuseurs.
Quelques plumes avisées sauvent parfois la mise mais leur visibilité reste relative, l’attitude dominante étant celle qui consiste à remplir un espace. Même le défunt Algérie-Actualité, journal devenu fétiche dans le paysage médiatique algérien, avait la même attitude vis-à-vis de la culture. Il faisait de la culture mais par défaut. « Quand Benhamadi qui était à La république d’Oran est venu, appelé par Redha Malek, nous avons commencé à donner un autre visage à Algérie-Actualité, notamment les pages culturelles. Comme la politique était un peu difficile et qu’on ne pouvait pas s’en occuper, on s’est rabattu sur la culture, » a avoué Abdelkrim Djaad dans le film documentaire Tahar Djaout, un poète peut-il mourir ? de Abderrazak Larbi-Cherif. Cette déclaration de Abdelkrim Djaad, pour banale qu’elle semble, est déconcertante. Elle lève le voile sur un mal que, par narcissisme et suffisance, on refuse de regarder : le désintérêt pour la culture. Pourtant, ensemble de valeurs, de savoirs, de représentations, de visions, de traditions qui font l’ambiance sociale et les dynamiques qui nous conduisent sur les chemins difficiles de l’Histoire, la culture est essentielle. Aujourd’hui, c’est la politique qui capte le plus l’intérêt des Algériens, sans doute à cause de la médiocrité et de la fragilité des acteurs politique du pays qui, pour la plupart, peinent à formuler un discours cohérent et porteur de vision et d’ambition et laissent ainsi penser que la politique est toujours à réinventer. Mais les infatigables quêtes politiques des uns et des autres laissent croire que c’est la culture, c’en est du moins la trace, qui est recherchée à travers cette façon de faire de la politique, ce qui est en soi fondamental. Car, comme l’a si bien dit Georges Lukács, « la politique n’est que le moyen, la fin, c’est la culture».