L’ombre de juillet
Une mauvaise conscience apprivoisée est pire que la mort.
Goethe
Ils sont discrets. Réservés. Effacés presque. La voix mesurée et le geste grave. Ils ne se sont jamais bousculés devant l’abreuvoir. Ils n’ont jamais prélevé de dîme sur leur engagement. Et de prime sur leurs convictions. Car ils ont été sincères. Tous ceux qui ont participé à un noble combat pour briser les chaînes qui ligotaient leur pays. Pour se vêtir de leur dignité d’hommes. Afin de respirer à pleins poumons l’air pur de la liberté. Ils ont lutté pour une idée. Pour la réalisation de laquelle ils n’ont jamais demandé de tribut. Refusant de la transformer en rente d’indignité. Ils viennent de livrer un autre combat. Pour la restitution de la mémoire de l’Algérie. Pour la nitescence d’un idéal. Ils demandent à tous ceux qui l’ont éclaboussé de tempérer leurs ardeurs. De stopper leur impudeur. De mettre un terme à leur insatiable voracité. De modérer les fureurs de leur proverbiale rapacité. Ils leur demandent de contenir leurs mensonges. Ils ne leur demandent pas de rendre tous les terrains, tous les prêts non remboursables, toutes les licences, tous les agréments et toute la solennité dérobée. Ils leur demandent de cesser de suborner, de leurrer, de tromper et de duper. Et de laisser l’histoire tranquille. La laisser dire en toute tranquilité. Une histoire qu’ils squattent depuis des lustres et qu’ils ont fini par pervertir. Insidieusement mais copieusement. Sans y avoir participé. Comme tous ceux qui ont connu les pires humiliations coloniales. La peur, les privations, les vexations et les mortifications. Ces pénitences qui balisent encore les recoins de leur mémoire. Ils connurent ensuite l’euphoriepassagère de la liberté retrouvée. Les fêtes bariolées et la liesse populaire. Puisl’exaltation spontanée mais éphèmère de la communion joyeuse. Vite engluée dans un semblant d’égalitarisme décharné. Qui devait se révéler comme un système intrinsèquement perverti. Pourri par les vers pernicieux qui le rongeaient voracement de l’intérieur. Ouvrant, ainsi, la voie au démantèlement des fondements de la société entière. Et à la banalisation de tous les desseins noirs. Y compris à l’idéologie sinistre qui pointa agressivement du nez. Pour une décennie d’obscurs vacillements. Une décennie de sang et de cendres. Se propageant comme une insidieuse gangrène dans le corps exténué d’une Algérie troublée. Et qui empoisonneencore la quotidienneté de tous ces Algériensinquiets. Près de soixante ans après. Tous ces Algériens qui ont battu le record de l’endurance, de la perseverance et de la patience. Par ce qu’ils ont leur pays au cœur. Tous ces enfants d’un pays blessé méritent un hommage appuyé. Car c’est grâce à eux que des générations entières ont continué à vivre, à aimer et à rêver. Un hommage soutenu à ces femmes et à ces hommes qui ont survécu à toutes les infamies, à toutes les trahisons et à toutes ignominies. Hommage à toutes ces femmes sublimes qui donnent sens à notre désir d’éternité. Hommage à tous ces hommes dignes, de mon pays, qui n’ont jamais appris à ramper ou à se plier. Dans une Algérie où les arcs-en-ciel renaissent obstinément.Se répandent résolument.Au creux tourmenté de tous les embrasements.