« Opération Cisneros » : Lorsque Franco convoitait Oran

Il fut un temps, pas si loin dans l’histoire moderne d’Oran, où notre ville faillit redevenir « espagnole »… En effet, le caudillo (leader politique et militaire de l’Espagne après la guerre civile espagnole de 1936) Francisco Franco voulait s’en emparer dans des circonstances historiques qu’il est intéressant de rappeler.

« Opération Cisneros » est le nom de code que donnèrent les services secrets français au célèbre projet  de l’Espagne franquiste pour s’emparer, entre 1940 et 1942, d’Oran et de tous ses alentours, un territoire qui était encore sous contrôle de la France coloniale, et dont un grand nombre de la population européenne était d’origine espagnole.

L’écrivain Alfred Salinas, raconte cet épisode de l’histoire moderne d’Oran dans un ouvrage fort bien documenté: Quand Franco réclamait Oran –«  L’Opération Cisneros », l’Harmattan, 2008.

Selon les chiffres et les statistiques espagnols, parmi les un million et demi de la population de la région, les Européens étaient environ 400.000 dont près de 300.000 étaient Espagnols face aux 100.000 Français. Le reste se composait « d’indigènes », natifs musulmans.

Le nom choisi pour cette opération fait référence au cardinal et conseiller d’Isabelle la Catholique, Francisco Ximénez de Cisneros (1436-1517) qui dirigea la première conquête espagnole d’Oran en 1509.

Oran fut espagnole, (un « presidio »: place forte afin de protéger les missions et autres colonies de peuplement), rappelons-le, pendant près de trois siècles: du XVI° au XVIII°, on compte plus de 250 ans de présence espagnole. Une première occupation par le cardinal Cisneros (1509-1708); 203 ans. Une brève conquête par les Turcs et une reprise d’Oran par les Espagnols en 1732 puis son abandon définitif en 1790 lors du fameux tremblement de terre qui détruisit une grande partie de la ville, et encore 58 ans de présence espagnole.

Les services secrets et de contre-espionnage français étaient convaincus que la ville d’Oran, une fois entre les mains de Franco, serait rebaptisé « Oran-Cisneros ».

Rappelons la situation politique de l’époque: Nous sommes dans la France de 1940 et du régime de Vichy, après l’entrée de l’Allemagne nazie dans Paris. Profitant de la défaite française pendant le mois de juin de cette même année, Franco veut réaliser le rêve impérialiste des cercles africanistes et de la Phalange. Il entreprend alors des négociations avec Hitler et Mussolini et le partage de l’empire colonial français sous la promesse d’entrer en guerre contre les alliés au côté de l’axe italo-germanique (ce qu’il ne fera jamais… maintenant son pays dans une espèce de « neutralité » intelligente).

« Oran appartient à l’Espagne! » martelait inlassablement le Caudillo auprès de ses alliés Hitler et Mussolini qui, chacun de leur côté, nourrissaient pour leur propre compte le projet de conquérir la ville, nous raconte Alfred Salinas dans son ouvrage.

Et sans même attendre leur accord et le feu vert de ses partenaires, il mit en marche son plan de conquête de l’oranie qui était à peine à quelques dizaines de kilomètres du Maroc espagnol où étaient localisées de nombreuses troupes franquistes (près de 150.000 soldats) qui représentaient une menace pour le gouvernement français du régime de Vichy au sein du protectorat marocain.

Il est vrai que Franco utilisa d’abord la voie diplomatique: un moyen ambigu à base de dialogue et de pression afin d’arriver à son objectif. Il privilégia donc la possibilité d’un accord bilatéral avec la France.

Ramón Serrano Suñer, le ministre des affaires étrangères de l’époque, et beau-frère de Franco, affirme dans ses mémoires que l’intérêt de l’Espagne n’était pas l’option militaire, mais la négociation. Le Caudillo entretenait des relations très amicales avec le maréchal Pétain, ex-ambassadeur à Madrid devenu, après l’acte constitutionnel du 10 juillet 1940, le nouveau chef d’État français.

Comme il ne voulait pas que d’autres puissances interviennent dans ce processus, il posa directement le problème à Pétain. Mais il ne le fit pas directement, mais en prétextant le problème des tribus des Beni Snassen dont le territoire séparait le Maroc espagnol de la frontière algérienne. Un accord datant de 1912 assurait le contrôle de ce territoire à l’Espagne.

En 1925, lors de la guerre du Rif, et ce afin de lutter contre les hommes de Abd el Krim, les Français occupèrent le territoire des Beni Snassen ainsi que celui des Beni Zeroual qu’ils ne rendirent pas.

Il y eut de nombreuses et insistantes réclamations infructueuses jusqu’à la rédaction d’un traité en novembre 1935 pour la restitution de ces territoires. À cause de la guerre civile espagnole en 1936, l’accord ne fut pas exécuté.

La victoire nationaliste provoqua une nouvelle vague de demandes. Paul Baudoin, ministre des affaires étrangères de Pétain, s’opposa à cette demande, convaincu que satisfaire Franco serait ouvrir une brèche irréparable pour la protection de l’oranie.

Comme réponse à ce refus, les phalangistes espagnols poussèrent les tribus des Beni Snassen à se soulever contre le pouvoir de la France. Leur but était de provoquer une révolte qui justifierait une intervention militaire espagnole.

Par peur des problèmes qu’il pourrait y avoir dans ses territoires, Baudoin fit marche arrière et accepta. Il proposa, le 29 août 1940, leur restitution, mais à une seule condition: cela se fera lorsque la guerre sera finie et que la paix sera signée en Europe.

Madrid, dans un élan d’orgueil, refusa alors cette offre…

Pétain oublia toute l’amitié qu’il portait à Franco et adopta une position de fermeté.

Le 15 mai 1941, Pétain déclara solennellement le caractère intangible des frontières françaises.

De plus, le débarquement anglo-américain de novembre 1942 sonna le glas de toutes les convoitises espagnoles.

Il ne restera à Franco qu’une seule option, celle de sa propagande.

Oran restera sous occupation française jusqu’en juillet 1962, date de l’indépendance de l’Algérie.

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