Taghit, le jardin de l’Erg

La pépite scintillante de la vallée de la Saoura. Voluptueusement assoupie au pied du Grand Erg occidental. Un bouquet de jardins entrelaçés. La palmeraie de Taghit. Une oasis qui ressemble à un écrin étincelant. Et où la magnificience le dispute à la féérie.

Un jardin de palmiers altiers et de seguias claires. Savamment distribuées par une mechtta qui effleure délicatement la chevelure des sources fougueusement enchevetrées. Libérant, ensuite, une kyrielle de raies ruisselantes qui sepentent le long de la palmeraie pour irriguer généreusement une constellation de jardins, appelés affectueusement jnanate en langue algérienne. Jnanate est le pluriel de jnane, l’equivalent de boustane en arabe classique. Le jnane est le jardin dans toute l’expression de sa généreuse beauté. Nourricier et exaltant la fois. Source de nourriture et de ravissement. De subsistance de d’emerveillement.

Plusieurs de ces jnanate comprennet des bhirates ou petits vergers judicieusement alignés et, par endroit, s’entremêlant les uns aux autres. Sans clôtures ni séparations de distinction.

Ces jardins nourriciers, gorgés de fruits savoureux et colorés à chaque saison, voient fleurir simultanément lauriers roses et blancs, grenadiers, figuiers, abricotiers, orangers ou encore ces fleurs typiques du sud et ces fleurs « sauvages » encore inconnues de la botanique conventionnelle.

Des fleurs peu connues en dehors de la région et que les autochtones appelent par leur nom et savent quelles vertus medicinales ou autres, elles recèlent. Ils savent aussi à quel moment il faut les ceuillir et celles qu’on peut sécher.

Ces populations issues des Beni goumi, Laghnenma, Doui mnîi, et Ouled Jrir et d’autres d’origine lointaine, plus au sud, ont cohabité et partagé des cultures et un savoir faire qui a traversé une temporalité souvent contrariée.

Mais ce fabuleux jardin de palmiers nommé Taghit, en raison de sa clémence naturelle, est devenu le creuset de leurs joies et de leurs peines mais également de leur entente patiemment tissée depuis des lustres. Un jardin de palmiers qui réitère régulièrement l’expression de son apothéose à chaque automne. Pour la saison de la recolte des dattes composée de plusieurs variétés. Une saison propice à la fête et pour celebrer les retrouvailles de plusieurs tribus.

Une célébration du partage au cœur des jardins et qui a donné naissance au Maoussem de Taghit, ce festival des arts et des cultures ayant la datte et le palmier comme symboles-pivots de la fécondité du desert. Le miracle de la fertilité au cœur de l’aridité.

Au milieu de la palmeraie touffue, se côtoient une multitude d’arbres fruitiers, de plantes et de fleurs entourés de quelques minces et courtes bordures en toub ou en branches de palmiers séchées. Mais qui laissent un passage bien visible et l’accès à ces jnanates, toujours fort aisé.

Car ces jnanate de Taghit sont des jardins vivriers mais egalement lieu de plaisir, de détente et de réjouissance. Les chioukh de la région y déclament leurs poèmes, les artistes laissent les périgrinations de leurs instruments s’emerveiller devant tant de splendeur et de douceur d’une atmosphère qui incite à savourer chaque instant passé dans ces endroits à la magie sans cesse renouvelée.

La cérémonie du « Lbass » pour les nouveaux mariés se déroule toujours dans un jnane choisi parmi les plus fleuris.

Le rituel du Lbass qui consiste à mettre au jeune marié de nouveaux habits, coiffés d’un burnous blanc, se déroule au mileu de la végétation ornée par les fleurs de la saison.

C’est un rituel d’initiation au passage à « l’âge du mariage ». Les nouveaux habits du marié sont les habits d’une nouvelle vie et d’une responsabilité nouvelle. Le jardin restera ainsi, comme une pierre blanche, dans l’itinéraire du futur père de famille qui se souviendra, pour le reste de sa vie, de « Jnane ellbass.

Le jour de la cérémonie, le thé du jardin, préparé à l’aide d’un babor en cuivre pour l’eau bouillante, se parfume avec la menthe, la chibba ou le chih cueillis sur place.  D’autres plantes comme el ouazwaza, ou el gartoffa sont présentes et s’intègrent immanquablement aux repas préparés sur place. Méchoui ou parfois mkhalâa, pâte fine farcie de poireaux et viande séchée et qui se marie délicieusement au thé brûlant et aux murmures de la séguia et des chants d’oiseaux dont les nids sont souvent à portée de main.

Ce jardin de palmiers fiers, qui se love sous les mollets du grand Erg s’étire jusqu’à la station les gravures rupestres, un musée en plein air exhibant 7.000 ans d’histoire de l’art.

Cette station de Taghit, qui remonte à plus de 40.000 ans avant jésus-christ, recèle des dessins représentant des vaches, des chèvres, des serpents ou d’autres animaux qui sont gravés sur de grosses pierres sombres qui s’étirent sur le flanc de monticules  nonchalamment allongés. Les écritures qui sont en signes inconnus et pour les plus récentes en tifinagh, témoignent d’une florissante civilisation néolithique. Des silex taillés ou des fossiles de vestiges marins donnent à ces jardins des airs de mystères qui gardent jalousement leurs secrets dans le silence sidéral de l’incommensurable immensité, bien au enfouis dans les abysses de la grandeur.

Ces jardins de Taghit qui ont traversé les âges pour nous transmettre ces parcelles de mémoire vibrante, sont une invitation à un voyage exaltant, dans quelques venelles de l’éternité. Une éternité qui n’arrête pas de survoler un océan de dunes indomptées, formant des vagues ondulées à perte de vue.  Comme un toit ocre composé de poudre d’or, de poussière ambrée de grain minéral, d’une finesse inouie.

Cette toiture d’or coiffe délicatement le Qssar, érigé sur un éperon rocheux et aux bras largement ouverts enlaçant la Grande Dune et trônant sur les belles hanches de l’oued Zousfana.

Et ce n’est guère un hasard. Car les maisons du Qssar et ses remparts sont composés de mottes de terre provenant de l’oued et mélangées à de la paille elle-même, issue des champs bordant les jardins.

Non loin desquels les bains de sable, avec immersion dans ce grain minéral doré, sont supposés atténuer les douleurs de plusieurs pathologies. Parfois ces bains de sable sont pris juste pour le plaisir. Un mot qui se confond avec l’atmosphère de ces jardins envoûtants quand ils accueillent une tegssira entre proches et amis.

A cette occasion une partie du jardin est couverte de tapis multicolores mais toujours la gtteffa est présente. Avec ses petits losanges rouges et noirs, ce tapis de laine épaisse est un symbole de fête dans la vallée de la Saoura. Quand il se déploie sur la belle poitrine d’un jnane, le bonheur rôde. Et le jardin se met à vibrer sous les sonorités du luth et du violon non loin d’un mouton qui tournoie sur les braises. Ces méchouis d’une saveur inégalée donnent à la tegssira au jardin, un goût de paradis. Tant les mots jnane et jenna sont proches au point de se confondre.

Et il plane effectivement un air de paradis sur ces jardins de Taghit. Tant la sérénité y est prégnante. Une sérénité propice à la méditation et au recueillement. Bien à l’abri des bruits et du tumulte qui écorchent la quiétude de l’âme.

Des adeptes du soufisme y trouvent leur havre de détachement et de placidité. Tout comme les chioukhs qui viennent composer leur qassidate de melhoun ou les mettre en ordre avant de les déclamer.

Beaucoup de ces qassidates ont pour objet ces jardins précisément. Vantés pour leur beauté, inspirant les amoureux transis, mais également comme lieu de rencontres des amoureux à l’abri des regards. Le jardin devient le lieu d’une passion naissante ou le réceptacle d’une flamme dévorante.

Les jardins se retrouvent ainsi dans bien des chansons narrant ces rencontres au milieu des fleurs et des chants d’oiseaux. Ces mêmes oiseaux que les enfants vont chercher au milieu de ces jardins et qu’ils connaissent tous par leur nom comme Assrand, El hadhoud, Ezrarêe, Oumississi, el Bortal….et savent même quel type de vers de terre ces oiseaux préfèrent et à quel endroit du jardin les trouver.

C’est aussi cela le rôle culturel de ces jardins qui allient tegssirates pour les plus âgés et techrak pour les moins grands.

Souvent ces mêmes gamins rencontreront, plus tard, leur dulcinée dans le même jardin ou célébreront la cérémonie du Llbass pour leur mariage non loin de l’endroit où ils tendaient leurs pièges aux oiseaux. Ils passent d’un piège à l’autre. Et c’est, à présent, eux qui tombent dans les filets d’une belle oiselle.  Peut-être même celles-la qu’ils ont rencontrées pour la première fois dans ce même jardin. Et qui deviendra, plus tard, la Fahla de leur cœur.

Le jardin devient ainsi le lieu de toutes les symboliques. Mais il demeure fondamentalement source de joies. De la cueillette des fruits à celle des fleurs, en passant par le Maoussem, les tegssritaes ou les rencontres amoureuses le jardin est signe de vie et de passion.

Et c’est sans doute pour cela que le jardin n’est jamais associé à un événement triste. Tout ce qui a trait aux négativités sociales se déroule ailleurs. Jamais un rite funéraire, par exemple, ne se tient dans un jardin. Mais une rencontre amoureuse, un mariage, une tegssira, un méchoui, un Llbass en sont les maîtres mots et les repères.

Et c’est sans doute pour cela que le jnane et la jenna forment un très beau couple.

 

 

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