Aux origines du peuplement de l’Afrique du Nord (1ère partie)

L’origine des Amazighs (Berbères) est un sujet qui a toujours suscité des débats. Il l’est encore plus aujourd’hui en raison sans doute des enjeux identitaires, culturels et historiques qu’il génère. Ce débat avance au rythme des nouvelles données des recherches et études qui ne cessent de s’enrichir à la lumière des fouilles archéologiques, sous l’éclairage de certaines disciplines comme l’anthropologie, la préhistoire, la paléontologie, la linguistique… C’est ainsi que certaines thèses établies qualifiées de  théories diffusionnistes de type humain-civilisation[1] sont réexaminées ou remises en question pour fonder d’autres plus convaincantes. Avant que ces découvertes n’apportent donc des éclaircissements sur l’origine des Amazighs, certains chercheurs lui trouvent une origine européenne, d’autres, orientale. Gabriel Camps, préhistorien et spécialiste de l’Afrique du Nord, en homme averti écrivait : «  Et si les Berbères ne venaient de nulle part ? » [2]

Dans cet article, nous allons donc relater à travers les récentes découvertes archéologiques dans les domaines notamment de la préhistoire, de la paléontologie, de la linguistique de ce groupement humain auquel nous appartenons, qui nous caractérise et fait notre fierté. Mais avant de commencer cette quête identitaire, nous allons tout d’abord commencer par définir  les notions de préhistoire et d’histoire.

Préhistoire/Histoire

On a l’habitude d’appeler histoire un ensemble d’événements passés dans lequel s’inscrit l’homme. Cependant, les spécialistes, eux, proposent d’autres définitions. Il y a la préhistoire et l’histoire.

La préhistoire est une science qui a pour but de restituer le passé de l’homme depuis ses premières manifestations, laissés sous forme de traces archéologiques jusqu’à l’apparition des archives écrites. Celles-ci permettent de  reconstituer les différentes civilisations qui se sont succédé dans le temps et dans l’espace de l’homme préhistorique à travers le legs culturel et industriel qu’il a produit[3]. Les premiers chercheurs ont divisé la préhistoire en deux grandes parties : le paléolithique (âge de la pierre ancienne), le néolithique (âge de la pierre nouvelle) et la protohistoire (âge des métaux).

La période du Paléolithique s’échelonne des premières traces de l’activité humaine,  environs trois millions d’années,  jusqu’à l’invention de l’agriculture et de l’élevage, deux caractéristiques du néolithique. Dans cette période, l’homme collecte sa nourriture tandis qu’au néolithique, il l’a produite. Ce grand changement des sociétés humaines est particulièrement marqué par la sédentarisation de l’homme, l’avènement de l’agriculture, la pratique de l’élevage  et l’utilisation de la céramique. Aux environs de 9000 ans, cet agriculteur-éleveur utilise donc la céramique pour fabriquer les ustensiles en terre dont il a besoin.  La protohistoire, est la période de transition entre le néolithique et l’histoire. Cette période se caractérise par l’avènement des métaux (âge du bronze, âge du fer) et la construction des  monuments funéraires mégalithiques. L’histoire, quant à elle, a pour objectif de reconstituer l’histoire de l’homme à partir de l’analyse des ressources écrites.  Elle commence avec l’apparition des écritures qui ne sont pas connues au même moment chez tous les peuples.

Ain Boucherit (Algérie), deuxième berceau de l’humanité

Selon Yves Coppens, ce qui a stimulé la recherche des origines de l’humanité du côté de l’Afrique, est d’abord la suggestion de Darwin puis celle de Teilhard de Chardin qui invitent les chercheurs à piocher du côté de l’Afrique[4]. La bipédie[5] constitue une étape charnière dans l’émergence des hominidés. Cette station debout « libère la tête et permet en même temps l’agrandissement de la boîte crânienne, le cerveau n’a plus ensuite qu’à occuper la place disponible […][6] .» L’homme moderne est le résultat d’un processus évolutif, morphologique et psychique qui a commencé depuis son émergence du règne animal, depuis la bipédie jusqu’au paléolithique supérieur, c’est-à-dire vers 40 000 ans BP[7]. Ce processus évolutif va amener l’homme d’abord à la station debout. Cette phase va commencer ensuite par l’homo-Habilis pour se poursuivre avec l’homo-Erectus. Ces phases d’évolution où l’homme va acquérir la station verticale est capitale pour la suite de son évolution. Elle va lui permettre non seulement de libérer les mains mais aussi de modifier profondément sa charpente osseuse et son psychisme. Ainsi, sous l’impulsion du cerveau, l’homme, avec ses mains libres, va concevoir et utiliser des outils.

L’homme est apparu pour la première fois en Afrique, au Tchad précisément, il y a 7 millions d’années. Il s’agit d’une découverte d’un crâne du plus ancien hominidé connu à ce jour. Ce nouvel ancêtre de l’humanité, découvert dans le désert du Djouab au nord du Tchad, le 19 juillet 2001 par Ahourta et l’équipe de Michel Brunet a été baptisé Toumai, qui signifie « espoir de vie » en langue Goran.[8] Il a été trouvé à 2500 km à l’ouest de la vallée du Rift, là où a été trouvée Lucy (environs 3 millions d’années). Désormais, la théorie d’Yves Coppens « East side story » qui préconise que Lucy est l’ancêtre de l’humanité et que la savane est l’un des facteurs de l’émergence de la bipédie n’est plus valable. Après une validité de plus d’une vingtaine d’années, elle est remise en cause par cette découverte de Toumai dans une zone très humide qui laisse penser que ce dernier vivait encore dans un univers boisé.[9] C’est à cet endroit que les premiers humains, nos lointains ancêtres, seraient apparus. Ce  bipède va non seulement se servir de ses deux mains pour fabriquer des outils dont il aura besoin, mais aussi  marcher sur ses deux pieds et migrer loin découvrir d’autres espaces. Ainsi, il commencera son long voyage pour coloniser l’ensemble du continent africain.

Les plus anciennes manifestations culturelles de l’homme, sont découvertes en Ethiopie à Gona et datent d’environs 2,6 millions d’années. Ces premiers outils de l’humanité qui sont constitués de galets taillés, espèce de choppers et éclats tranchants sont connus sous l’appellation de culture olduwayenne en raison de sa de première découverte dans le site d’Olduvai en Tanzanie. Cette industrie lithique est aussi retrouvée récemment en Afrique du Nord, en Algérie, à Sétif, dans le site d’Ain Bouchrit par l’équipe du préhistorien, paléontologue M. Sahnouni. Cette équipe multidisciplinaire et multinationale a mis au jour un ensemble d’outils (250) de type Olduwayen associés à un ensemble de fragments osseux de bovidés et d’équidés portant des traces de découpes, ce qui suppose que cet Homo-Faber se nourrit aussi de viande. Leur datation est estimée à environs 2.4 millions d’années[10].  Pour dater ce site, ces chercheurs ont recours à une combinaison de méthodes de datation  à savoir la stratigraphie, le paléomagnétisme, la résonance paramagnétique électronique (RPE) et la bio chronologie. Ainsi, cette découverte majeure met fin à la théorie de l’origine du berceau de l’humanité qui se trouve à l’Est de l’Afrique. Cette exclusivité  des origines n’est plus admise, elle est remise en question par ces récents résultats qui place  le site d’Ain Bouchrit comme deuxième site archéologique le plus ancien au monde remontant à 2.4 millions d’années. La découverte d’un autre berceau de l’humanité en Afrique du Nord, va sans doute changer l’attention des chercheurs à chercher ailleurs qu’en Afrique de l’Est.

L’apport des datations modernes changent souvent la donne comme c’est le cas du site de Tizi-ghenif ou a été découvert une mâchoire d’être humain, plus ancien ossement trouvé en Algérie et en Afrique du Nord, daté d’abord de 700000 ans avant de revoir sa datation à environ 1 million d’années. Cet Homo-Erectus découvert à Ternifine, est l’auteur des industries de bifaces et hachereaux. Le stade suivant est l’Homo sapiens, celui qui sait et qui est capable de construire, de transformer la matière minérale.

[1] S. Hachi, « Aux origines berbères propos de l’hypothèse des origines capsiennes », in Izuran-Racines, n°7, Nov-Déc. 1999, p. 6.

[2] G. CAMPS, 2007, Les Berbères, Mémoire et identité, Op. Cit., p. 53.

[3] N. Saoudi, 1983, « La préhistoire », in Al Insan, n°1, Alger, CRAPE, p.7-17.

[4] Coppens H., 1996, « L’homme », in La plus belle histoire du monde, les secrets de notre origine, Alger, Éditions Marinoor, p. 121.

[5] La bipédie

[6] Ibid., p.133.

[7] BP: en anglais « Before Present ».

[8] Lisa Garnier, 2006, « Quel est le plus vieil ancêtre de l’homme ? », in Science et Vie, Hors série, n° 235, p.20-23.

[9] Ibid., p.24-29.

[10] SAHNOUNI M., « Objets façonnés vieux de 1,9 million et 2,4 millions d’années et ossements taillés sur des outils en pierre d’Ain Boucherit, Algérie », in Science,  14 décembre 2018:Vol. 362, numéro 6420, p. 1297-1301

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