Enseigner : du complexe au simple

Depuis des lustres, la philosophie cartésienne marque profondément les pratiques enseignantes en s’appuyant continûment sur le postulat de la simplicité « partir progressivement de l’évidence au complexe ». Cette philosophie est transposée dans l’enseignement où l’accès aux savoirs s’effectue à travers la recherche d’unités simples et identifiables en décomposant le réel en éléments et en objets. R. Descartes écrit dans Le Discours de la méthode (1637) : « de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu’à la connaissance des plus composés. ». En revanche, cette pensée montre ses limites car la vie sociétale est plus complexe qu’une simple  production ou la résolution d’une équation. En effet, le réel est composite, hétérogène et protéiforme. Contre cette pensée simpliste de la science classique, le sociologue E. Morin introduit le concept de la complexité pour expliciter le soubassement théorique de la mécanique quantique qui abolit les frontières entre les aspects ondulatoires (ondes) et corpusculaires (particules). Cette théorie interdisciplinaire réconcilie les savoirs et jette les ponts entre les disciplines. Elle met aussi l’accent sur l’enchevêtrement des faits et l’abolition des frontières ; en d’autres mots, le tout fait partie des parties et les parties font partie du tout. Cette théorisation est désignée par l’approche systémique qui repose sur quatre principes : 1- la totalité ; 2- l’interactivité ; 3- l’homéostasie (résistance au changement) ; 4- Equifinalité (le système comme un ensemble d’éléments en interaction en fonction d’une finalité). Toutefois, l’accès à la complexité exige une compétence et une merveilleuse intelligence pour pouvoir rendre les faits accessibles à la compréhension. Ainsi, la recherche de la simplicité au sein de la complexité demeure une voie sans issue.

Quant à la sociolinguiste et la didacticienne Marielle Rispail propose la mise en place d’une nouvelle conception applicationniste inversant l’ordre chronologique des pensées cartésienne et morinienne, en expliquant que l’enseignement doit partir, tout d’abord, du complexe au simple car les faits sont réellement complexes, flous et fuyants, qui mériteraient d’être progressivement disséqués en éléments simples et compréhensibles. « C’est simplement l’idée qu’on pourrait apprendre à l’école comme on apprend en immersion quand on se déplace à l’étranger d’abord de façon globale puis en détaillant petit à petit ». Pour illustrer sa pensée, elle fournit l’exemple imagé de l’enfant qui apprend à marcher, il met d’abord tout son corps en mouvement ; puis, il comprend progressivement le sens de ses mouvements et la signification de ses gestes. Tout comme le langage qui débute par des règles (normes et exceptions) et des formules complexes où  l’apprenant commence à les disséquer au fur et à mesure en unités de sens pour les rendre simples et accessibles.

Cette pratique cartésienne et morinienne dans laquelle nos écoles continuent encore à se perpétuer occasionne des répercussions sur les résultats scolaires et montre un échec flagrant : « Et c’est pour cela, ou pour cela en partie, que nos enseignements de langue sont toujours des échecs. », a-t-elle écrit.  

Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

 

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