Inculquer l’altérité et chanter l’hymne de l’altruisme

Nous parlons souvent d’une pédagogie centrée sur l’apprenant, c’est-à-dire celle qui met l’accent sur ses besoins, ses désirs et ses plaisirs, et nous négligeons toutefois une pédagogie autour de l’apprenant ayant une visée éthique et pragmatique : Comment accepter la différence ? Comment rencontrer l’Autre ? Comment se décentrer ? etc. Tous ces questionnements sont importants pour stimuler l’intérêt de l’apprenant qui le conduit, par conséquent, à la connaissance de l’Autre, étant une autre partie du « Moi ». Pour ce faire, l’enseignement de la culture, l’inculcation des valeurs universelles (les attitudes de tolérance, de solidarité et d’ouverture), l’acceptation de l’autre et la décentration par rapport à sa culture « maternelle » devraient être une sorte de tradition fêtée au quotidien, en célébrant les culturèmes marquant nos ressemblances et nos différences. Une différence qui ne doit pas être perçue comme un différencialisme, mais comme un marqueur d’enrichissement et un marquage d’identification.

Lire aussi : Le français en Algérie, dit-on langue étrangère ?

Nous ne parlons pas uniquement une langue, mais nous transmettons également une/des culture(s) car la langue est un outil efficient pour établir une réflexion interculturelle et entretenir un rapport interactionnel. En effet, les gestes, les modes de perception, le vécu, les représentations s’insinuent profondément dans une culture singulière dont la compréhension est nécessaire pour accéder à la saisie du sens. J. Courtillon souligne que « Apprendre une langue étrangère c’est apprendre une culture nouvelle, des modes de vivre, des attitudes, des façons de penser, une logique autre, nouvelle, différente, c’est entrer dans un monde mystérieux au début, comprendre les comportements individuels, augmenter son capital de connaissances et d’informations nouvelles, son propre niveau de compréhension. » (1984 : 52). Tout mot et toute expression prononcés ne peuvent être rendus exactement par d’autres termes, car ils sont imbus d’une charge sémantique intraduisible. C’est pourquoi, l’entrée dans une culture donnée s’avère d’une grande importance dans une interaction verbale.

Dans ce contexte, l’école demeure un espace privilégié pour familiariser les élèves avec la diversité et les socialiser dans un monde pluraliste qui encourage l’ouverture et instaure un dialogue interculturel, et qui lutte contre la marginalisation des groupes ethno-culturellement minorisés. Ce dialogue hybridé produit une atmosphère d’intercompréhension et de remise en question des préjugés. Il permet également de mettre en œuvre une pédagogie « d’habiter les frontières »[1] ou « une éducation interculturelle »[2] qui valorise le contact des cultures, la réciprocité, l’inter-échange, la reconnaissance de l’autre et la sociabilité entre les individus.

Lire aussi : Langues/cultures : aller à la connaissance de l’Autre est une reconnaissance de soi

L’un des alliés incontournables de l’approche interculturelle est le texte littéraire qui constitue une source culturelle intarissable. Ce médium se métamorphose en un espace-texte où se côtoient langues et cultures et se déploie l’interculturalité. L’enseignant ne doit pas l’appréhender uniquement dans sa dimensionnalité linguistique, mais il doit interpréter également son ineffable richesse culturelle inépuisable. Cette pratique permet de fournit à l’apprenant une voie d’accès aux traits culturels afférents à la langue enseignée et à la compréhension de l’autre dans sa différence, sa diversité et sa complexité.

Pour finir, nous convoquons ce tissu de phrases poétiques d’Albert Jacquard comme hymne à l’altérité chantant la charte du « vivre-ensemble » et de l’universalité.

                                                                                    L’autre

 

L’autre, femme ou homme, de la même espèce que moi, et pourtant différent, comment le regarder ? Comment me comporter face à lui ?

Si je vois en lui un ennemi qui me menace, qui me fait peur, je ne songe qu’à me défendre contre lui, et pour mieux me défendre, à l’attaquer. C’est cela le racisme.

Si je vois en lui un obstacle qui gêne ma progression, je ne cherche qu’à le dépasser, à l’éliminer. C’est cela la compétition qui transforme la vie de chacun en une suite de batailles parfois gagnées, en guerre toujours perdue.

Pour être réaliste, je dois voir en l’autre une source qui contribuera à ma propre construction. Car je suis les liens que je tisse ; me priver d’échanges c’est m’appauvrir. Le comprendre c’est participer à l’Humanitude.

 

                                                                                                                                                                      Albert Jacquard

 

Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

 

Référence bibliographique

Courtillon, J. « La notion de progression appliquée à l’enseignement de la civilisation », in Le français dans le Monde, n° 188, Paris, Hachette-Larousse, 1984.

[1] Référence au titre de l’ouvrage de Léonora Miano

[2] Référence à l’ouvrage de Martine-Abdallah Prétceille

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *