La daridja : entre pluralité et singularité
La question linguistique, en Algérie, demeure inextricablement résolue, ayant suscité et suscite encore des débats intarissables et féconds entre les sociolinguistes et les didacticiens des langues. Les textes abordant la daridja sont pléthoriques et les études sont extrêmement foisonnantes, notamment celles portant sur son status et son corpus. En effet, elle est dénommée la daridja, le maghribi, l’arabe algérien, la langue maternelle ou les langues algériennes, terme réduisant la diversité linguistique « langues » à l’unicité nationale « algériennes », etc. Cette pléthore hétéro-nomique occasionne ipso facto un hiatus patent entre les chercheurs de différentes disciplines, voire de la même discipline, dans la mesure où cette langue est revue différemment sous un prisme épistémique : linguistique, politique, sociologique, didactique…
Cette substitution terminologique conjuguée, évoquée supra, pourrait biaiser les données récoltées par l’enquêteur, car, par évidence, les mots ne sont pas essentiellement innocents ou usuellement décents ; à titre illustratif évoquer le mot « daridja », c’est éveiller tout un faisceau de « dénominorisation » chez le locuteur enquêté, contrairement au syntagme de « langue maternelle » qui pourrait inscrire l’enquêté dans un processus de biologisation linguistique et d’alliance familiale et familière, ce qui y accorde souvent des « représentations positives »
Quant au versant contextuel, parler de la daridja au singulier, c’est faire abstraction d’une pluralité de variantes et de variétés co-présentes qui sont souvent stigmatisées, voire scotomisées, inscrites dans des poches géolinguistiques différentes. Cette singularisation dénominative colportée charrie une illusion linguistique archétypale instrumentalisée fondée sur la dichotomie unificatrice de nation/langue façonnant continûment l’identité des locuteurs.
Toutefois, l’articulation de langue(s)/sujet(s) parlant(s) devrait se substituer à la circonscription idéologisée de langue/peuple, étant donné qu’au sein de cette habitus linguistique, au sens bourdieusien, que se creuse la voie et se forge la voix de l’homo-sapiens.
En définitive, la discrépance textuelle et contextuelle extirpe la véritable identité de l’individu et biaise son identification en désignant le « moi » comme un autre, sa parole comme celle de l’autre et son espace intime comme un prolongement de l’espace public, du fait que les cloisons entre l’univers intra et extra-muros sont réduites par cette langue uniformisée ou dite sacrée : l’arabe classique ou académique. A cette lecture s’ajoute la question des représentations sur cette langue qui instrumentalise les réponses obtenues en les canalisant en fonction des attentes et des objectifs attendus, comme les questionnaires distribués convoquant souvent des réponses émanant de la « réflexivité » et non de la « spontanéité » du discours ou comme les questions : évaluer l’impact de…, envisager les retombées de… ou comprendre comment… qui relèvent plus de l’ordre subjectif- en se référant à une méthode qualitative- que scientifique qui est fondé sur des données rigoureuses chiffrées et des enquêtes longitudinales, telle que la méthode quantitative sur laquelle s’appuie le sociolinguiste W. Labov (1966) pour mener une étude sur la variation de [r] rétroflexe dans les grands magasins de New York (Saks Fifth Avenue, Macy’s et Klein) afin de fournir une preuve sur la stratification de l’anglais, classe supérieure, moyenne et inférieure, dans cette mégapole pour démonter l’insécurité linguistique chez les locuteurs ; en d’autres termes, plus on grimpe dans la hiérarchie sociale, plus le [r] rétroflexe se maintient et inversement.
Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).