Re-penser les textes littéraires dans les manuels algériens

L’enseignement des textes littéraires, depuis l’avènement de l’approche communicative vers les années 80, ne cesse de susciter un débat intarissable et de soulever des passions stimulantes et des interrogations passionnantes chez les didacticiens. Des questionnements spinozistes émanent du contexte éducatif : Comment enseigner le texte ? Quel texte choisir ? Le texte est-il le reflet de la réalité ? etc.

En effet, les approches didactiques actuelles mettent le focus sur le texte littéraire et couronnent sa littérarité, sa textualité et sa poéticité. Le choix des textes engage, didactiquement, une pertinence et une adaptation aux niveaux du public enseigné, en l’occurrence les apprenants.

Toutefois, la relecture des manuels scolaires révèle une discrépance entre le niveau réel de l’apprenant et les textes (à) enseignés (er), dans la mesure où nous constatons que les supports exploités se sont démarqués par la difficulté d’accès au lexique et l’insaisissabilité du sens. Pour élucider ce « hiatus », nous convoquons les fameuses fables de Jean de La Fontaine qui sont enseignées, dès la 2e année au collège, où elles se trouvent enrôlées dans l’herméneutique philosophique exigeant une compétence réflexive et une maîtrise linguistique de la part de l’apprenant. Olivier Reboul souligne que « ces fables ne sont pas pour les enfants »[1]. Ainsi, les textes classiques figurant dans le manuel scolaire de 3e année secondaire, entre autres, « La propriété privée, facteur inégalité » de J. J. Rousseau, « La propriété, facteur inégalité, réponse à Rousseau » de Voltaire, « La crise des certitudes » de Paul Valéry reposant essentiellement sur une interprétation socio-philosophique plus que linguistique. A cette lecture s’ajoute la troncation[2] ponctuant la magie contextuelle de la phrase, rompant la trame narrative, ravissant le plaisir de la lecture et appauvrissant l’écriture, où l’apprenant perd le sens charmé qui serpente entre les expressions et les expressivités du texte. Nous citons le texte de Mahfoud Kaddache « La société européenne d’Algérie » et celui dont la référence est inconnue « Appel au peuple algérien » qui illustrent au mieux cette « segmentabilité » qui nuit à la cohésion et à la cohérence logico-sémantique.

En outre, les investigations réalisées dans cette perspective affirment continûment que les apprenants ne disposent pas suffisamment de compétences leur permettant d’accéder aux textes enseignés et de les assimiler.

Par ailleurs, un bon nombre de textes portant sur des statistiques restent en décalage avec les faits actuels tels que les textes du manuel de 2e année secondaire : « Grandes familles linguistiques » de D. Mataillet paru en 2004 qui dénombre les langues parlées et leurs locuteurs ou les faits divers : « Trois Français arrêtés en possession de drogue près d’Azeffoun » (2005), « il rate son suicide, mais pas sa fortune »(2003)… Ces statistiques mériteraient d’être renouvelées et ces faits réactualisées en permanence pour s’adapter au changement  actuel.

Même si la liberté du choix des textes est en partie permise, les thématiques séquentielles introduites dans les manuels scolaires demeurent majoritairement décontextualisées et en déphasage avec les attentes de la vie réelle et les stades de développement de la cognition de l’apprenant.

Pour faire face à ce manquement caractérisant l’enseignement du texte littéraire, l’enseignant devrait adopter à la fois une posture d’un acteur et d’un auteur : acteur car il est appelé pédagogiquement à théâtraliser l’acte d’enseignement et à scénariser le contenu à enseigner ; auteur puisqu’il est censé fabriquer des textes supports répondant adéquatement à la situation d’enseignement/apprentissage et aux niveaux des apprenants. J.-P. Cuq et I. Gruca concluent : « Tout se passe donc comme si la fréquentation des textes des grands auteurs ne pouvait se mériter qu’après une longue fréquentation de textes fabriqués à des fins linguistiques et pédagogiques.»[3]

Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

[1] http://uv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70229-9.pdf

[2] Hidayet Benabadji Mehdid, « Vers une re-didactisation des textes littéraires : exemple de  » La Chèvre de M. Seguin  » dans le manuel algérien de 5ème année primaire », Insaniyat / إنسانيات, 79 | 2018, 57-66. https://journals.openedition.org/insaniyat/18656

[3] J.-P. Cuq et I. Gruca (2005). Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, PUG, p. 415.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *