Réinventer la Nahda
Il a fallu attendre un deuxième moment de l’emprunt mutuel, à savoir, l’avènement de la NAHDA (renaissance), au milieu du 19ème siècle, pour permettre aux intellectuels Arabes de découvrir l’apport de l’orientalisme, de s’en imprégner, pour développer l’esprit d’analyse et de critique tributaire des écrits philologiques et historiques des savants européens ; à telle enseigne que c’est durant cette période charnière de la NAHDA – qui a vu des savants, des traducteurs, des journalistes formés à l’école occidentale – que le monde arabe, et par extension le monde arabo-musulman, a connu un développement significatif, notamment dans le domaine des sciences humaines.
Malheureusement, cet essor a été de courte durée. Il a été incontestablement freiné par les entreprises coloniales, relégué au second plan par les résistances à ces politiques de conquête, puis dénaturé par l’apparition d’un phénomène caractérisé par le retour à l’affirmation d’identités fortes, excluantes, et pour emprunter le titre d’un ouvrage remarquable de Amine Maalouf, je dirais d’ « identités meurtrières » . Par conséquent, que l’on assiste à un découplage social et culturel frappant ; alors qu’une frange importante de la population arabe évolue dans un monde pleinement ouvert à la modernité et aux échanges culturels internationaux, une autre partie, non moins importante, a tendance à se confiner dans un univers marqué par un fort conservatisme. Il est temps de remédier à cet état des choses, en diversifiant les échanges avec les autres civilisations, en intégrant certaines de leurs valeurs, grâce à des politiques gouvernementales d’ouverture en matière d’éducation et de liberté d’expression, seules à même d’assurer une bonne gestion de la culture et de favoriser ainsi une meilleure connaissance de l’autre.
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C’est à ce prix que s’instaurera un dialogue fécond entre ces cultures, ces civilisations qui, pour être différentes en apparence, sont surtout héritières d’un patrimoine spirituel commun, et donc susceptibles de susciter un élan et une volonté de promouvoir ensemble des valeurs partagées qui tendent vers l’universalité. La connaissance mutuelle est, certes, indispensable, mais sans le partage des valeurs, le savoir reste instrumental et court le risque de faire l’objet de toutes sortes de manipulations. Il convient de construire des valeurs communes, en se basant sur le postulat que c’est la science qui conditionne et détermine la conscience nationale. Il ne suffit pas de se borner à œuvrer à la reconnaissance mutuelle de valeurs différentes. La nuance est importante. Car, dans l’un des cas, on se referme sur soi, conforté par l’idée qu’à chaque groupe, à chaque communauté, conviennent des valeurs particulières. C’est la voie empruntée par le multiculturalisme, lorsque ce dernier prône la spécificité d’une valeur, en insistant sur la spécificité d’une culture.
Les valeurs communes à l’homme en général, c’est ce qui transcende le groupe et permet à ce dernier de s’élever à l’universel. À l’inverse, la crispation sur des valeurs singulières comporte le risque de perpétuer l’isolement et la sclérose. Pour illustrer cet état de choses, j’évoquerai la grande figure emblématique de la pensée arabe du 20ème siècle, l’égyptien Taha Hussein, dont le trajet intellectuel d’al Azhar à la Sorbonne, en passant par l’université du Caire, fut exemplaire à plus d’un titre, mais dont les écrits n’inspirent aujourd’hui que peu de lettrés et de chercheurs arabes. C’est en retrouvant cette inspiration qu’il sera possible d’instaurer un dialogue franc et ouvert ; c’est en assurant aussi, dans nos propres pays, la promotion des valeurs universelles que l’islam porte du reste en lui, notamment en matière de droits de la femme, de tolérance religieuse, idéologique et de liberté de pensée. Ainsi pourrions-nous, à l’heure de la mondialisation, construire des valeurs communes, de nature à faire progresser nos idées, contribuer pour la solution des conflits, notamment celui du Proche-Orient, et à instaurer un climat de confiance et de respect mutuel. Il importe donc d’œuvrer, sans relâche, pour la formation d’élites détentrices d’une culture universelle, et pour le partage du savoir, afin que la lumière puisse atteindre chaque contrée de notre univers commun, et pour que la paix puisse se répandre et se déployer un jour dans le cœur de tous les Hommes. Formons le vœu qu’à la faveur de réflexions et discernements une néo-contemplation soit l’amorce d’un rayonnement d’une civilisation prestigieuse, et vouons notre foi à l’amitié entre les peuples et notre attachement à la concorde.