« Il faut disjoindre les notions de langue et culture au maximum (Marielle Rispail, sociodidacticienne)

Dans cette interview, Marielle Rispail, Professeure en sociolinguistique et didactique des langues et des cultures à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, parle de la nécessité de bien connaitre les situations plurilinguistiques pour développer des objectifs didactiques en phases avec la réalité du terrain et sa complexité. « La sociodidactique est considérée comme un carrefour car peuvent s’y croiser des dimensions et données sociologiques, historiques, géographiques, linguistiques, communicatives, philosophiques, ethnologiques, anthropologiques, etc., » estime-t-elle.

En tant que pionnière de la discipline, comment définissez-vous la sociodidactique ?

C’est un domaine scientifique qui propose pour étude les liens entre didactique et sociolinguistique : cela peut aller de la prise en compte des faits sociaux et langagiers dans l’enseignement des langues, à la place de l’école dans les politiques linguistiques, avec un accent mis sur les faits de minorations sociales et linguistiques dans les politiques éducatives et de leurs conséquences.

Cette discipline scientifique se caractérise par l’adoption des méthodologies d’enquête sociolinguistique, souvent appliquées aux domaines scolaires ou aux situations de transmission des langues : entretiens de divers types, observations in vivo, multiplication des acteurs pris en compte, complexité des corpus, analyse de documents sociaux, éventuellement questionnaires écrits, etc. Les analyses en sont souvent qualitatives, mais le quantitatif peut y avoir sa place. On y cherche à comprendre, décrire, des faits parfois occultés, et jamais à prescrire.

Elle est considérée comme un carrefour car peuvent s’y croiser des dimensions et données sociologiques, historiques, géographiques, linguistiques, communicatives, philosophiques, ethnologiques, anthropologiques, etc.

Quel est le rapport entre la didactique du plurilinguisme et la sociodidactique ?

Nous partons de l’idée qu’on ne peut penser, étudier ou enseigner sérieusement les langues dans une société donnée, sans voir les places qu’elles y occupent les unes par rapport aux autres.  Or, dès qu’on étudie les langues véhiculées dans un groupe social et leurs relations et usages – sauf exception extrême – on tombe inévitablement sur des situations plurilingues : langues officielles,  langues non reconnues, langues de l’école, langues des familles, langues des groupes sociaux, langues générationnelles, etc., tous ces parlers se mêlent, s’emboitent, se complètent ou se combattent (c’est une image bien sûr), s’interpénètrent de façon dynamique, évoluent ensemble. Ce plurilinguisme, conscient ou inconscient du côté des locuteurs, plus ou moins maitrisé, pourrait devenir, après sa connaissance, sa description et sa mise en valeur, un objectif didactique à développer : s’habituer à la langue de l’autre, aux langues des autres, trouver des passages entre elles, apprendre à deviner, rapprocher, jouer, sans avoir à choisir – politiquement parlant. Les aspects identitaires et de domination plus ou bien vécus pourraient y trouver leur compte – c’est un pari sur l’avenir et ses futurs locuteurs.

Lire aussi: « Penser plurilingue, c’est penser les contacts interlinguistiques et interculturels » (Philippe Blanchet, sociolinguiste)

Quelle est la place de l’interculturel au sein de la sociodidactique ?

Je ne sais pas. Interculturel est un mot que j’emploie peu et sur lequel je n’ai nommément fait aucune recherche, même s’il est évident que rencontrer des langues, c’est rencontrer des cultures. Mais l’affaire se complique dès qu’il s’agit d’enseignement : car une langue ne va pas avec une culture, pas plus qu’avec un pays ou une population donnée. La langue dite française peut servir à exprimer la culture québécoise, des cultures africaines, une partie de la culture de la Confédération helvétique ou de la Belgique, des cultures ultramarines. À l’inverse, les cultures créoles par exemple, peuvent renvoyer à plusieurs langues, plusieurs situations sociolinguistiques, un seul territoire (la France ou l’Algérie par exemple) peut héberger plusieurs cultures, etc. Je n’aime pas l’adéquation langue / culture et encore moins le concept langue-culture : je préfère disjoindre ces notions au maximum. Donc je suis bien loin de pouvoir envisager scientifiquement la rencontre interculturelle !

Lire aussi: «La sociolinguistique décrit des langues mais aussi des situations sociales» (Louis-Jean Calvet, sociolinguiste)

La « contextualisation » est au cœur de cette discipline. Vous pouvez nous éclaircir ce concept et son rapport avec le contexte didactique ?

Il me semble que j’ai en partie répondu à cette question dans mes premiers propos. Je vois la transmission des langues, qu’elle se fasse par l’école ou par d’autres canaux ou institutions, comme la résultante de diverses composantes sociales et autres. La structuration de ces composantes en objet signifiant peut être appelée contextualisation. Par exemple, le contexte sociolinguistique dans lequel se trouve un enfant des Quartiers nord de Marseille, ma ville natale, n’a rien à voir avec celui d’un réfugié Yézidi à St Etienne ou d’un petit Créole de la Réunion : on a intérêt à connaitre et comprendre ces contextes, et les vécus et représentations qui les accompagnent, si on veut être un-e enseignant-e pertinent-e, à l’écoute, en somme un enseignant-apprenant. Je ne vous ferai pas l’injure de prendre pour exemple la situation algérienne et ses infinies variations. Scientifiquement, connaître toujours plus finement les fonctionnements et entre autres les rapports de pouvoir à l’œuvre entre les éléments de cette contextualisation, peut aider à les comprendre, donc à les transformer. Marie Curie disait dans ce sens : « Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. ».

Pourquoi une telle discipline et vers quoi tend-elle ?

Là aussi, il me semble qua j’ai en partie répondu, ou alors que vous pouvez deviner ma réponse. Une posture scientifique répond toujours, je crois, à une double tension paradoxale : celle de la transparence destinée à faire partager des faits et analyses, et celle de la conviction car il n’y a pas de recherches sans élan, sans croyances, sans espoir, sans engagement. Les enjeux de l’analyse et de la compréhension des situations et potentialités dont je vous ai entretenu plus haut pourraient aider à aller vers un monde plus juste, plus clair, à un vivre-ensemble où toute langue, et donc tout individu, aurait sa place, de façon harmonieuse, pacifiée…, une utopie en somme ! Prenez le mot dans le sens que vous voulez …

Entretien réalisé par Youcef BACHA, doctorant en didactique du plurilinguisme/Sociodidactique, Laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes (LDLT), Université de Ali Lounici-Blida2, Algérie.

One thought on “« Il faut disjoindre les notions de langue et culture au maximum (Marielle Rispail, sociodidacticienne)

  1. Ce que j’apprécie dans ces réponses c’est cette capacité énorme à convaincre le Lecteur, il n’y a pas place pour le hasard .

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