« Les peuples du ciel » : dans l’immensité de la conscience humaine

La science-fiction est un genre que je n’apprécie pas particulièrement Ces histoires qui consistent à raconter des mondes imaginaires reposant sur des progrès scientifiques et techniques futurs, nous baladant dans l’espace et entre les galaxies, m’ennuient prodigieusement. Mais là ! Je suis carrément subjuguée.

Ahmed Gasmia nous surprendra toujours. Déjà, avec Promesse de bandit publié en 2018 aux éditions Frantz Fanon, il nous a offert le bonheur de nous transposer, avec une sincérité absolue, dans un temps passé, celui de la conquête de l’Algérie au XIXème siècle, avec l’histoire rocambolesque d’un bandit de seconde zone, Hafnaoui Dayem, que l’on peut traduire, sans se tromper, par une quête de soi. Dans son nouveau roman, Les peuples du ciel, édité en 2019 aux mêmes éditions, c’est à travers le prisme du futur que M. Gasmia nous oblige à nous regarder pour, peut-être, mieux comprendre notre présent, celui de l’humanité.

Le roman commence par une bataille médiévale féroce que des hommes derrière leurs écrans observent, donnant le sentiment qu’il s’agit d’un jeu vidéo du style for Honor : « Il va falloir contrôler votre aigle espion, les gars. Sa caméra a besoin de révision, poursuivit-il à voix haute, sans détacher ses yeux de l’écran sur lequel deux armées se livraient bataille » (p.10). Un jeu ? Mais non ! Le lecteur comprendra très vite que ce n’est pas un divertissement ! Il s’agit bien de deux tribus primitives, belliqueuses, qui s’adonnent à cette fureur guerrière, bien décidées à se terrasser.

Dans son nouveau roman, Les peuples du ciel, édité en 2019 aux mêmes éditions, c’est à travers le prisme du futur que M. Gasmia nous oblige à nous regarder pour, peut-être, mieux comprendre notre présent, celui de l’humanité.

Nous sommes en l’an 2356 ! Ceux qui visionnent cette guerre sanglante sont les scientifiques d’une station spatiale « Idya » installée par l’OFT qui est une firme terrienne. Ils sont chargés d’observer une planète, Alkium, rendue viable (atmosphère, végétation, eau…) pour accueillir une quinzaine d’enfants abandonnés, malades, voués à l’agonie certaine. Les chercheurs ont pour mission de modifier leurs gènes pour les soigner ainsi que leur descendance. Tout devait se faire discrètement pour éviter que la firme ne perde « ses droits d’exploitation sur Alkium » et que « des actions en justice » ne soient pas engagées contre elle sur terre.

Or, si les traitements ont sauvé les enfants, leurs effets secondaires avaient provoqué une progéria, autrement dit, une sénescence accélérée : « En trois mois, les nouveau-nés avaient atteint l’âge adulte. En dix mois, ils étaient déjà des personnes âgées. Ceux qui avaient vécu une année étaient presque des centenaires. En dix-sept ans, cette population en était à la cinquante-et-unième génération.

Les Goranes, ce peuple si singulier, ont évolué progressivement dans un environnement créé et supervisé depuis la station spatiale Idya. Ces humains ont recommencé l’histoire de l’humanité sur la planète Alkium située à des années lumières de celle des hommes : la Terre. De l’an un, il ne subsiste qu’une infime trace légendaire des êtres, qu’ils ont appelé les Ombres, et qui auraient ramené leurs ancêtres sur cette planète. Sur cette réplique le la Terre, les Goranes se sont organisés pour survivre, ont constitué deux tribus rivales sur la base d’un désaccord cultuel : les Wolocks et les Kalans ; ils avaient, malgré leur courte vie, « trouvé du temps pour tout, même pour se quereller et s’entre-tuer »,  sous l’œil attentif des scientifiques qui, eux, se questionnent parfois même sur les moyens à utiliser pour éviter  la surpopulation… Jusqu’à quand durera cette expérience ? jusqu’où ira la folie humaine ? Que vont devenir ces tribus ?

Les peuples du ciel, finaliste du prix Orange du Livre d’Afrique, est un roman mené avec brio. Le récit est taillé dans un décor lointain, le XXIVe siècle ; mais, comme une parabole, il est truffé d’actions palpitantes pas si éloignées de notre monde actuel et qui donne à réfléchir.

Ce cadre, imaginé par Ahmed Gasmia, donne l’opportunité à l’auteur de retracer le parcours des deux communautés humaines : l’une scientifique dont l’évolution très avancée biaise parfois sa perception de l’essence humaine, et l’autre « primitive » qui construit sa conscience. Le tout se faisant sous le regard des « terriens » qui financent, mais qui se disputent aussi le contrôle du pouvoir sur les autres !  Nous avons dans ce roman une fresque de l’humanité, mais aussi de ses défaillances, ses faiblesses, et surtout de sa force.

Les peuples du ciel est un roman mené avec brio. Le récit est taillé dans un décor lointain, le XXIVe siècle ; mais, comme une parabole, il est truffé d’actions palpitantes pas si éloignées de notre monde actuel et qui donne à réfléchir. L’intrigue est excellemment menée par une forme narrative construite pour son effet certain à la réception (on n’en sort pas indemne), une tension toujours plus serrée à mesure que nous progressons dans l’histoire. Les dialogues sont réalistes et saisissants. Le texte nous happe, dès les premiers chapitres, dans une dynamique haletante. Bravo ! À lire absolument.

Ahmed Gasmia, Les peuples du ciel,  Ed. Frantz Fanon,  2019, 248 pages

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